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crut que Snelgrave voulait le tuer : il jeta un cri douloureux. Snelgrave le prit dans ses bras avec transport. L’enfant rassuré sourit et caressa son libérateur. Snelgrave, plein d’une émotion délicieuse et pénétré d’attendrissement, prit congé du roi nègre et retourna à son vaisseau.

En arrivant sur son bord, Snelgrave revit cette jeune négresse qu’il avait achetée le matin. Elle s’était trouvée mal ; le chirurgien du vaisseau, n’ayant pu l’obliger à prendre de la nourriture, lui avait fait respirer l’air, dans la crainte qu’il ne lui prît une nouvelle faiblesse. Au moment où Snelgrave passait auprès d’elle avec ses gens, elle tourna la tête : tout à coup, apercevant le petit nègre que portait un matelot, elle jeta un cri perçant et se précipita vers l’enfant qui la reconnut et lui tendit les bras. Elle le reçut dans les siens. Les résolutions funestes qu’elle avait formées, la perte de sa liberté, les projets du désespoir, les maux affreux qu’elle avait soufferts, tout fut oublié… Elle était mère… elle retrouvait son fils !…

Cependant elle apprit de l’interprète tous les détails de l’action de Snelgrave. Alors, tenant toujours son enfant dans ses bras, elle courut se jeter aux pieds de son bienfaiteur. — C’est maintenant, lui dit-elle, que je suis ton esclave. Sans cet enfant, la mort m’eût cette nuit délivrée de l’esclavage : tu n’étais pour moi qu’un tyran. Tu m’as rendu mon fils, c’est me donner plus que la vie ; tu deviens mon père : oui, tu peux compter désormais sur mon obéissance, cet enfant si cher en est le gage !…

À mesure que cette femme parlait avec l’expression de la reconnaissance la plus passionnée, l’interprète traduisait à Snelgrave ce gu’elle disait. Il ne pouvait recevoir un prix plus doux de son humanité ; mais il en recueillit encore de nouveaux fruits. Il avait sur son vaisseau plus de trois cents esclaves. La jeune négresse leur conta son aventure. Après avoir écouté ce récit touchant, les nègres l’entourèrent en exprimant leur admiration par des applaudissements redoublés ; ils lui promirent une soumission sans bornes ; et en effet, Snelgrave, pendant le reste du voyage, trouva en eux