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et sans goût. Je ne dis que quelques mots, qui exprimoient que je n’étois pas de son avis. Il ne fut question de littérature ni avant ni après le dîner, M. de Voltaire ne jugeant pas, je crois, que cette conversation dût intéresser une personne qui s’annonçoit d’une manière aussi peu brillante. Néanmoins il soutint l’entretien avec politesse et même quelquefois avec galanterie pour moi.

On se mit à table, et, pendant tout le dîner, M. de Voltaire ne fut rien moins qu’aimable. Il eut toujours l’air d’être en colère contre ses gens, criant à tue-tête avec une telle force, qu’involontairement j’en ai plusieurs fois tressailli. La salle à manger étoit très-sonore, et sa voix de tonnerre y retentissoit de la manière la plus effrayante. On m’avoit prévenue de cette manie, qui est si hors d’usage devant des étrangers : et l’on voit parfaitement, en effet, que c’est une habitude ; car ses gens n’en paroissent être ni surpris, ni le moins du monde troublés. Après le dîner, M. de Voltaire, sachant que j’étois musicienne, a fait jouer madame Denis du clavecin. Elle a un jeu qui transporte, en idée, au temps de Louis XIV ; mais ce souvenir-là n’est