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me trouvois heureuse de jouer de la harpe pour lui. À l’une de ces soirées que nous passions ensemble, j’eus un triste triomphe qui me fit beaucoup de peine. Un homme en deuil, que je n’avois pas encore vu, s’y trouva. Je chantois particulièrement bien l’air, J’ai perdu mon Eurydice, dont Gluck lui-même m’avoit donné le goût et l’expression ; au milieu de cet air, l’homme en deuil fondit en larmes, et tout à coup, se trouvant mal, il tomba sans connoissance dans les bras de son voisin ; il avoit perdu trois mois avant une femme qu’il adoroit. Madame de Crouzas, qui m’avoit déjà entendu chanter cet air, et qui n’étoit pas auprès de moi dans ce moment, me fit signe de ne pas le chanter ; mais malheureusement je ne la compris pas. Je quittai Lausanne, en m’engageant à entretenir avec madame de Crouzas une correspondance, qui a duré vingt ans. De Lausanne j’allai à Genève, et de là chez M. de Voltaire.

Je n’avois point pour lui de lettres de recommandation ; mais les jeunes femmes de Paris en sont toujours bien reçues. Je lui écrivis pour lui demander la permission d’aller chez lui ; il n’y avoit, dans mon billet,