Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T2.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mains affreuses, qui, par leur grosseur, contrastoient singulièrement avec la délicatesse de son visage, elle étoit charmante sans aucune régularité ; son caractère étoit doux, obligeant, égal et gai, mais elle étoit absolument dépourvue d’esprit ; sa vivacité, sa gaieté et son air enfantin cachoient agréablement sa nullité ; elle n’avoit jamais eu un avis à elle, mais dans la conversation elle adoptoit toujours l’opinion de la personne qui passoit pour avoir le plus d’esprit, et c’étoit d’une manière qui lui étoit tout-à-fait particulière. Lorsqu’on discutoit sérieusement, elle ne parloit jamais, et feignoit de tomber en distraction, et tout à coup, paroissant sortir de sa rêverie, elle répétoit mot à mot, comme d’elle-même, ce que venoit de dire la personne dont elle adoptoit l’opinion, et elle affectoit une grande surprise lorsqu’on croyoit lui apprendre que l’on venoit de dire la même chose, elle assuroit qu’elle ne l’avoit pas entendue. Elle faisoit ce petit manège avec beaucoup d’adresse, et j’ai été assez long-temps à m’en apercevoir. Elle avoit d’ailleurs beaucoup de petits ridicules qui n’étoient que des affectations puériles ; la vue d’un bouquet de violettes la faisoit éva-