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Après avoir écouté ce récit, qui fut allongé par une infinité de détails que je supprime, je fis convenir le comte que nous avions été bien dupes de tant pleurer, et que la prétendue résolution de se tuer n’avoit été qu’une feinte (du genre le moins pardonnable) pour éprouver mes sentimens. Quelques jours après le vicomte vint souper au Palais-Royal, j’y étois ; il affecta des émotions qui attendrirent vivement plusieurs dames, qui connoissoient en gros son amour chevaleresque pour moi, sa campagne de Corse, et qui même savoient quelque chose du projet de son prétendu suicide. On racontoit ce fait comme certain, mais avec beaucoup de variantes, toutes plus touchantes les unes que les autres. Il étoit, à tous les yeux, un héros de roman. Il porta au comble ce genre d’intérêt, lorsque jouant au wisk avec moi, on lui vit des mains tremblantes, et une telle distraction, qu’il brouilloit toutes les cartes, renonçoit, et mettoit un surprenant désordre dans le jeu. Toutes ces choses étoient si visiblement à mes yeux une comédie, qu’elles me causoient une véritable colère. Une femme sentimentale, qui jouoit avec nous, fut profondément indignée