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pèce de honte d’amour-propre, d’avoir cru à ce prétendu suicide. Le comte passa avec moi toute la soirée ; il me fit un long récit, dont voici les traits principaux :

Le vicomte s’étoit rendu dans la forêt de Sénard, décidé, disoit-il, à terminer ses tourmens, son existence, et voulant exécuter cette funeste résolution dans un lieu désert, afin que l’on pût ignorer comment et dans quel lieu il auroit trouvé la mort. Au moment où, enfoncé dans la forêt, il alloit s’immoler, un ermite survint, qui l’arrêta, et l’entraîna dans son ermitage. Il y avoit en effet dans cette forêt un grand ermitage, où plusieurs ermites réunis travailloient en commun, et faisoient au métier des bas de soie, et de jolies petites étoffes de fantaisie, qui avoient beaucoup de vogue à Paris, et s’y vendoient fort bien. Le vicomte, rendu à la raison, à la religion, passa véritablement trois ou quatre mois dans cet ermitage, inconnu à ses hôtes, qui crurent avoir fait en lui la plus belle conversion du monde. Quand le vicomte fut revenu, le comte eut la curiosité d’aller visiter ces ermites ; il leur parla de son frère, que ces bons solitaires regardoient comme un