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jolie, me parla un jour de lui et de ses sentimens pour moi, avec un feu, une vivacité qui m’étonnèrent, et en faisant son éloge, elle ajouta qu’il étoit l’homme le plus délicat et le plus vertueux qu’il y eût sur la terre. Elle vit que je trouvois beaucoup d’exagération dans cette louange ; alors elle s’écria : « Il faut que vous le connoissiez tout entier, et je vais sacrifier mon amour-propre au plaisir de vous donner pour lui l’estime et l’admiration que doit inspirer un tel caractère. » Aussitôt elle me confia qu’avant que ses sentimens pour moi eussent éclaté, elle avoit pris pour lui la plus violente passion, et que, dans un moment d’égarement, et se croyant aimée, elle lui en avoit fait l’aveu ; qu’au même instant il s’étoit jeté à ses pieds, pour lui demander sa pitié, son amitié, pour lui déclarer que son cœur n’étoit plus à lui, et qu’il avoit pour moi la passion la plus vive et la plus malheureuse. Elle s’extasia pendant un quart d’heure sur la beauté et la franchise de ce procédé ; moi-même je le trouvai en effet estimable, quoique cependant il me fût impossible de repousser la mauvaise pensée que le vicomte, connoissant la candeur et la viva-