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de ce roman bizarre, qui m’avoit fort amusée pendant trois ou quatre mois. Je lui renvoyai alors la première lettre qu’il m’écrivit, sans la décacheter, ce que j’aurois dû faire après avoir lu la première de toutes. Peu de jours après ce premier renvoi, je le rencontrai à un grand déjeuner, chez une de mes amies qu’il voyoit souvent ; il trouva le moyen de me dire, avec des yeux menaçans, que si, à l’avenir, je lui renvoyois ainsi ses lettres, il deviendroit capable de toutes les extravagances imaginables, au lieu que si je continuois à les lire, même en le traitant toujours aussi mal d’ailleurs, il tiendroit scrupuleusement la parole d’honneur que j’avois reçue de lui, et qu’il n’avoit donnée qu’à cette condition.

La peur me décida à me soumettre à ce marché, et j’étois outrée intérieurement qu’il eût trouvé le moyen de me maîtriser ainsi. Je lui dis, non en plaisantant, mais avec colère, qu’il n’avoit aucune générosité dans l’âme. Il me répondit qu’aucun homme ne l’égaloit en grandeur d’âme et en pureté de sentimens, et que toute sa conduite avec moi en étoit la preuve. Je ne répliquai rien ; je le craignois, et je ne voulois pas l’irriter inutilement. Il