Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T2.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaîne, pour les porter toute ma vie sur mon cœur. » Je me mis à rire et à plaisanter sur ces prétendus déguisemens ; mais, comme il me disoit réellement tout ce que j’avois fait, et ce que j’avois distribué aux pauvres en pièces de petite monnoie, j’étois, au fond, sur ce point tout-à-fait incertaine.

J’ai toujours aimé la singularité qui n’offre rien de révoltant ; c’est un défaut dans une femme, parce qu’il peut en résulter beaucoup de fausses démarches. Ces déguisemens me causoient une grande curiosité ; néanmoins, je puis dire, avec la plus scrupuleuse vérité, qu’ils ne m’ont jamais engagée à laisser la moindre espérance à celui qui en étoit l’objet, ils m’ont seulement empêchée de lui renvoyer ses lettres toutes cachetées. Il m’écrivoit des volumes tous les dimanches, pour me rendre compte de tout ce que j’avois fait dans la semaine, et avec un détail et une exactitude qui finirent par me persuader qu’il étoit toujours à ma suite, sur mon chemin, à la promenade, dans les rues, dans les églises, même souvent dans la cour de ma maison, et jusque dans mon petit jardin, et toujours si bien déguisé que je ne pouvois le reconnoître. Quand je