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une noble situation, à l’abri des calomnies et de toutes fausses démarches. Que de travaux, que de chagrins de moins ! Toute cette destinée pure, honorable, et paisible, a été bouleversée, parce que Louis XV donna un ascendant suprême sur son esprit et sur sa cour, à une fille publique, surannée, et sans esprit !

J’ai oublié de parler d’un personnage très-remarquable, que j’ai vu sans cesse chez M. de Puisieux, c’étoit l’abbé Raynal. Il n’a jamais existé dans la société un homme d’esprit si tranchant, si contrariant, et si peu aimable. Je l’ai entendu disputer avec le maréchal d’Étrée sur des opérations de guerre, et avec une décision et une impertinence dont rien ne peut donner l’idée. Le maréchal finit un soir par lui dire : « Vous avez raison, monsieur l’abbé, car je vois que vous entendez toutes ces choses-là beaucoup mieux que moi. » Une autre fois que je venois de jouer de la harpe, il voulut me questionner, et à tue-tête, sur le mécanisme des pédales ; madame de Puisieux se hâta de l’interrompre en lui disant : « Épargnez-vous une dissertation inutile, monsieur l’abbé, parce que madame de Genlis est bien sûre d’avance que vous êtes en état de lui donner des