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chal de Balincour et le maréchal de Biron furent les témoins de toutes nos folies, et s’en amusèrent beaucoup. Le maréchal de Biron avoit dix-sept ou dix-huit ans de moins que le maréchal de Balincour ; il avoit soixante-neuf ou soixante-dix ans, on ne lui en auroit pas donné plus de cinquante-cinq. Il avoit une taille majestueuse, une très-belle figure, et l’air le plus noble et le plus imposant que j’aie vu. On dit de Brutus qu’il fut le dernier des Romains, on peut dire du maréchal de Biron qu’il fut en France le dernier fanatique de la royauté : il n’avoit de sa vie réfléchi sur les diverses sortes de gouvernemens et sur la politique. Mais il est certain qu’il étoit né pour représenter dans une cour, pour être décoré d’un grand cordon bleu, pour parler avec grâce, noblesse à un roi, pour connoître et pour sentir les nuances les plus délicates du respect dû au souverain et aux princes du sang, toutes celles des égards dus à un gentilhomme, et de la dignité que doit avoir un grand seigneur. Le système établi de l’égalité eût anéanti toute sa science, tout son bon goût, toute sa bonne grâce. Il adoroit le roi, parce qu’il étoit roi ; il auroit pu dire ce que Montaigne disoit de