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J’eus un grand plaisir, celui de revoir mon frère que j’ai toujours aimé avec la plus vive tendresse. Ma tante, madame de Belleveaux, vint aussitôt nous voir à notre hôtel garni. Elle avoit alors vingt-neuf ans, et, si elle avoit eu des dents passables, sa beauté eût été parfaite. Une taille majestueuse, des manières nobles et remplies de grâce, un éclat éblouissant, des traits réguliers, une conversation spirituelle et piquante, des talens agréables la rendoient l’une des plus charmantes personnes que j’aie jamais vues. Elle me trouva jolie, elle fut charmée de ma voix et de ma déclamation, me caressa beaucoup, et je pris pour elle un grand attachement ; en même temps je la craignois extrêmement ; son élégance et ses grâces m’en imposoient beaucoup plus que n’auroit pu le faire de la sévérité ; j’avois peur qu’elle ne me trouvat l’air ou le ton provincial ; pour la première fois je redoutois le ridicule, je commencois à attacher de l’importance aux petites choses, l’air dangereux de Paris agissoit déjà sur moi. Au bout d’un mois nous allâmes loger et nous établir à demeure chez madame de Belleveaux ; j’y retrouvai avec joie mes deux cousines ; l’aînée avoit neuf ans, et la cadette