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rajeunissoit, et lui donnoit l’air d’avoir vingt ans ; elle eut beaucoup de succès dans ce rôle, elle le méritoit.

Je vais à ce sujet rapporter un petit incident qui me paroit curieux, parce qu’il fait connoître jusqu’à quel point l’amour-propre, même dans les choses les plus positives, peut nous faire illusion. À la première représentation de cet opéra, ma tante, après les deux premiers actes, alla s’habiller en jeune bergère ; je la suivis dans la chambre à côté du théâtre où elle fit sa toilette. Elle n’étoit pas contrefaite, mais elle avoit une épaule infiniment plus grosse que l’autre, ce qui rendoit son dos très-défectueux quand rien ne cachoit ou ne déguisoit ce défaut, et son petit corset de bergère la laissoit voir entièrement. Je l’en avertis, mais sa femme de chambre par flatterie soutint que l’habit alloit en perfection. Comme ma tante paroissoit le croire, je pris un miroir que je plaçai derrière elle, et je lui fis voir parfaitement dans sa glace son dos, qui étoit véritablement ridicule ; elle le regarda, et, à ma grande surprise, elle fut tout-à-fait de l’avis de mademoiselle Legrand, sa femme de chambre. Elle joua ainsi, ce qui fut trouvé