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poursuivit son chemin avec l’air du monde le plus tranquille. Ce sang-froid, uni à cette cruauté, me fit frémir. L’après-midi, me trouvant auprès de M. de Chabrillan, il me fut impossible de ne pas lui parler du pauvre braconnier et de l’arrêt barbare prononcé par le prince. « Bon ! dit en riant M. de Chabrillan, il ne parloit que pour la galerie. Je connois cela : jamais un seul de ces ordres tyranniques, donnés en public, n’a été exécuté ; et, quant au braconnier qui vous intéresse, il sera seulement banni de l’Île-Adam pour deux mois, et, pendant ce temps, monseigneur prendra secrètement soin de sa famille, qui est très-nombreuse. Voilà l’ordre qu’il m’a donné tout bas en sortant de la messe. » — « Quoi ! repris-je, ce n’est point un premier mouvement de colère qui lui fait prononcer ces odieuses sentences ? » — « Non ; c’est seulement une prétention : il veut de temps en temps paroître redoutable et terrible. »

On a trop loué M. le prince de Conti sur ce qu’on appeloit alors du caractère. Cette louange étoit enivrante pour un prince de la maison de Bourbon, c’est la seule (depuis M. le régent) que la flatterie n’ait pu prodiguer, et, pour la