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tique, trois feux rouge, vert et jaune, brillèrent au large Job et sa femme poussèrent un cri de triomphe. Puis le poing levé sur le village qui disparaissait dans l’ombre, le sabotier prononça :

— On va donc vous échapper, gueux ! fils de gueux ! Nous avez-vous fait souffrir ? Ah ! vous appeliez mes garçons : naufrageurs et « âmes perdues », ils vous montreront qu’ils ont plus d’honneur et d’intelligence que vous.

L’artisan parlait encore lorsqu’une violente bourrasque lui enleva son chapeau dont les pannes de velours frétillèrent en s’envolant. En une minute l’océan, comme pétri par de formidables mains invisibles, ne fut plus que chaos et tourbillon.

— Mon Dieu ! leurs trois feux changent de position, s’écria Maharit. Les voilà les uns à côtés des autres.

— Jour d’enfer ! cria Job en entrechoquant ses mains, rappelle-toi leur signification, femme ! Ah mes garçons ! mes garçons ! À l’aide ! à l’aide !

Devant les interrogations des jeunes filles, Maharit répondit qu’il lui semblait se souvenir qu’en cas de malheur à leur bord, Jean et Julien placeraient leurs feux de niveau sur la lice de leur navire. Peut-être quelque voie d’eau s’était-elle déclarée ? Ou bien l’un et l’autre des frères avait-il été emporté par un de ces paquets de mer qui balayent soudain, sur un pont de vaisseau, gens et agrès comme une brosse fait voler la poussière d’un vêtement. Le sabotier et sa femme, fous de douleur, fuyaient le long de la plage, puis s’en revenaient sur leurs pas en gémissant. En filles de marins, pleines de sang-froid, Nonna et Anne arrêtèrent les sabotiers et leur dirent :

— Vos insultes ne sauveront pas Jean et Julien. Si leurs feux signifient qu’ils réclament de l’aide, il faut les secourir. Nous allons prévenir.

Les vaillantes filles partirent en courant vers le village.

— Non ! non ! ne mettez pas les gens de Ploudaniou dans nos affaires, vociféraient les sabotiers.

Sans prêter attention au délire de ces parents qui, par haine des pêcheurs, auraient laissé naufrager leurs fils, Nonna et Anne allèrent frapper à la maison de M. Béven qui détenait les clefs du canot de sauvetage. Elles l’avertirent que le « Grèbe », voilier commandé par les frères