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et pieds nus. Ils ne bougeaient point. Des algues étaient collées à leurs vêtements déchirés. À l’exclamation du prêtre, ces défunts, resurgis brusquement de l’océan afin de montrer quelques instants leurs formes périssables à leurs familles, avancèrent de deux ou trois pas vers le cénotaphe. Il y eut alors aux derniers bancs de l’assistance, les plus proches de ces fantômes, une clameur d’effroi et les femmes aux capuchons noirs, refluèrent en tumulte vers le chœur.

Les revenants tendirent alors les mains d’un air suppliant.

— Au nom de Dieu, pauvres trépassés, dit alors le recteur en marchant vers eux, une croix d’argent au poing, pourquoi vous manifestez-vous ?

À cette apostrophe les naufragés donnèrent à leur tour les signes de l’épouvante. Ils observèrent ardemment la châsse, les femmes en capote de deuil, les hommes aux expressions assombries et les orphelins en larmes. Enfin leurs yeux brûlés se posèrent sur deux vieillards qu’ils appelèrent avec détresse :

— Père Job ! Maman Maharit ! C’est nous, Jean et Julien !

Leurs voix avaient une sonorité extraordinaire dans l’église.

Quittant leurs chaises, les vieillards interpellés avancèrent en trébuchant vers les naufragés.

— Nos enfants ! Est-ce toi, en chair vivante, Jean ? Tiens-tu ton corps réel, mon Julien ? Si vous êtes trépassés, dites-nous ce qu’il faut faire pour vous soulager, tristes âmes en peine ?

Avec une sorte de colère, les marins échappés au naufrage prononcèrent :

— Nous vivons ! Les noyés ne sortent pas des flots ! Voyez donc !

Une rumeur d’incrédulité emplit la nef ogivale. Les veuves éclatèrent en sanglots.

— Par Dieu ! nous jurons que nous sommes en vie, déclara Jean Buanic, second de la « Rosa-Mystica » ; et son frère Julien répéta :

— Par-devant Dieu, ici présent au tabernacle, je jure que je respire !

À ce moment deux cris de joie retentirent et deux jeunes filles, une blonde comme le sable des grèves et une brune aux cheveux de cormoran, Nonna et Anne Lanvern, les