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La sabotière qui assaisonnait, au gros poivre, sa soupe de pommes de terre et de lard, s’écria :

Vierge Marie ! si l’on voulait sans cesse tenir son cœur dans la poitrine du prochain, on ne cesserait pas de mouiller son mouchoir… Êtes-vous de bel appétit ce soir, garçons ?… Oh ! cette gueuse de tempête va déplumer notre chaume ! Quel pays de malédiction !

— Moi, j’ai faim, annonça Job plutôt pour donner l’envie de manger à ses fils que parce qu’il éprouvait véritablement le désir de s’attabler. S’approchant doucement de Maharit, inclinée sur sa marmite qui s’effumait, il lui chuchota :

— Regarde donc nos garçons, sont-ils drôles ?

Leurs bras passés au cou l’un de l’autre, et debout en face de la baie vitrée, quoique le ténébreux crépuscule les empêchât de rien apercevoir sur l’océan, Jean et Julien considéraient dans sa direction avec une attention passionnée.

— Qu’attendent-ils ? murmura Maharit craintive.

— Sait-on ? Ah ! les marins, femme, quelle singulière espèce d’hommes !

— Une fusée ! s’exclamèrent les longs-courriers qui n’avaient pas cessé de regarder la grande baie vitrée de la saboterie.

Un trait de feu à panache de lumière verte illumina les ténèbres.

— Qu’est-ce que cela signifie, garçons ? questionna le sabotier.

— Un navire en perdition, répondait Jean. À mon idée ce doit être un vapeur d’importance ; les voiliers caboteurs ne sont guère munis de ces signaux pyrotechniques.

Un beuglement formidable emplit le palus tout entier et les vitres de la saboterie tremblèrent à ses vibrations.

— La sirène du phare, annonça Jean. Cette fois on ne peut plus en douter, les postes de sauvetage de Lanvec et de Ploudaniou devront partir au secours du naufragé.

Un nouveau mugissement et d’autres encore, ne cessèrent plus de retentir.

— La brume s’est sans doute abattue sur la mer et le phare signale au capitaine en péril sa situation, confia Jean à son frère qui appuyait son front contre les carreaux.