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le long d’un littoral aux blanches villes fleuries de grands minarets dorés, Jean et Julien avaient la nostalgie de leur barbare Armorique et de ses flots du vert triste des grands bois de chêne. C’est qu’ils avaient laissé au pays leurs cœurs, et pas un jour ne se passait sans qu’ils se demandassent :

« Recevrons-nous bientôt des nouvelles de Nonna ou d’Anne ? Quand nous écriront-elles : « Arrivez ! nous vous attendons » ?

Comme le « Monastir » avait débarqué à Sousse les machines agricoles dont il était chargé, Jean courut à la poste et il y trouva une lettre de Nonna. Et il lut :

« Je voudrais, dès la première ligne, te dire que mon père consent à notre mariage. Hélas ! s’il n’y est pas opposé, il hésite à cause des conversations qu’on tient toujours sur votre attitude dans la nuit funeste que tu sais. Les veuves de Bargain et de Leffret en parlent comme si elles en avaient été témoins, et les demoiselles Bourhis viennent de nous faire bien du mal, à ma sœur et à moi. Elles assurent qu’elles ne vous en veulent point de la perte de leur père, et qu’elles comprennent que le plus hardi marin peut être victime d’une défaillance, quand son existence est en jeu. « Ainsi donc, mon cher Jean, il nous faut encore patienter, quelque peine que nous en éprouvions. »

Sa lecture terminée, Jean s’en revint au « Monastir ». Il était si lugubre que Julien lui demanda :

— Que t’est-il arrivé ?

— Rien, ou plutôt lis, car notre malheur est commun.

Lorsque Julien lui rendit l’enveloppe, il lui dit avec des yeux douloureux :

— Eh bien ! je comprends le trouble de nos fiancées. T’avouerai-je que, parfois, le remords me ronge ?

Après avoir réfléchi sombrement, Jean répondit :

— Nous étions à bout de nos forces en cette nuit de misère. Il est vrai que nous aurions pu nous laisser couler avec eux au lieu d’accoster une terre le surlendemain.

— Nous serions donc morts, dit Julien d’une voix sombrée. À quoi bon, frère ? Il ne faut pas se noyer sans raison ! C’eût été un suicide et notre noyade ne rachetait pas la vie d’un seul de nos compagnons !


Le syndic, M. Béven, lisait à haute voix : « Le courrier