Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le vent frappe la barrière de notre clos… Oh ! toujours ces cloches ! Et l’océan geint comme une bête harassée !

— Et la brume commence de tomber sur la presqu’île, ajouta Maharit. Nos garçons se seraient-ils égarés ? Il y a des étangs dans le palus. Oh ! qui va là ? Qu’est-ce que c’est ? Parlez donc !

…Le gros huis de l’industrie rustique du sabotier, poussé lentement, livrait passage à Jean et Julien, front bas, mains aux poches. Surpris, leurs parents sursautèrent. Les jeunes gens gardant le silence, Job demanda :

— Pas d’enrôlement ?

— Non !

— Pourquoi ?

— …Pour la chose… toujours… comprenez donc !

Le son du bourdon de Pont-l’Abbé vint emplir la chaumière de sa funèbre clameur. Les quatre Buanic furent forcés de songer à la cérémonie commémorative en l’honneur des disparus de la « Rosa-Mystica ». Il aurait semblé que les églises, comme les gens et jusqu’à la mer par son gémissement perpétuel, conspiraient pour leur rappeler sans cesse le naufrage du charbonnier.

Le maître au cabotage et son frère s’assirent sous le rabat de la haute cheminée.

— Ainsi l’armateur n’a pu trouver de place pour vous sur l’un ou l’autre de ses navires ? questionna Maharit outrée de ce refus.

Jean répondit sans se départir de son calme :

— On l’avait prévenu contre nous… c’était visible.

— Il semblerait que nous ferions couler tous les vaisseaux qui nous recevraient à leur bord, ajouta son frère. Bah ! c’est notre sort, maintenant ! La misère a posé son grappin sur nous.

Tout à coup par la porte large ouverte, deux fantômes légers sautèrent sur l’aire de la salle.

— Oh ! des « anaons »[1] soufflèrent Job et Maharit en se signant rapidement du pouce, sur le front, la bouche et le cœur.

Effarés, les frères s’étaient levés sous la hotte de la cheminée et on ne pouvait plus distinguer leurs têtes cachées

  1. Anaons, en Bretagne, les âmes