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représenté debout dans une auge de granit flottant sur une mer de gros indigo, Maharit supplia :

— Ramenez-nous nos fils, grand saint ! De quel péché sont-ils coupables ?

— Leur faute, la mère, c’est de vivre, quand leurs camarades de la « Rosa-Mystica » ne sont plus à cette heure que des squelettes hantés des poulpes, répondit sombrement le sabotier… Allons ! patientons. Le chemin est loin de la ville ici… Peut-être nos garçons auront-ils trouvé quelque bon embarquement au cabotage chez M. David, l’armateur. Pour ses pommes de terre à envoyer en Angleterre, il lui faut beaucoup d’équipages… Vrai de vrai, plus moyen pour nos fils de rester à Ploudaniou. On se détourne à leur arrivée ou bien les mousses leur crient : « Au cimetière ! au cimetière, les revenants ! »

Cependant, la vieille Maharit, sa chandelle de résine au poing, était allée s’agenouiller devant la chromolithographie violemment enluminée de vermillon et d’or du grand saint Gildas, et elle lui dit avec effusion :

— Saint Patron venu d’Irlande sur les flots, toi qui sais les dangers des naufrages, intercède pour les âmes du capitaine Bourhis et de ses matelots, car ils étaient peut-être en état de péché. Ensuite, je te le demande, Gildas, fais que les gens de Ploudaniou ne poursuivent plus de leur haine sans motif Jean et Julien. Je voudrais que les âmes du capitaine Bourhis et de ses neuf camarades de la « Rosa-Mystica » apparaissent aux pêcheurs et leur apprennent que mes enfants ne sont point responsables de leur trépas. C’est cette nuit que ce miracle peut s’accomplir, si tu le demandes à Dieu, grand saint Gildas ! Allons ! pauvres Bourhis ! Bargain ! Leffret ! Cocheux ! debout ! debout ! Rentrez chez vous avertir vos endeuillés de la vérité. Allons ! les esprits ! apparaissez !

Et comme la sabotière, hors de sens, trépignait, en criant :

— Manifeste donc ton pouvoir par cette apparition, grand saint.

Job lui commanda sèchement d’avoir à se taire. Et il déclara :

— Assez de cris, femme. Si ceux de ce bourg entendaient tes implorations, ils croiraient nos garçons fautifs… Oh ! oh ! qu’est-ce qu’il y a ? On marche dans le sentier… Non !