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quit le sabotier de les aider à poursuivre leurs études. Il garantissait qu’ils seraient reçus à l’École Normale et en sortiraient instituteurs.

Lorsqu’ils eurent atteint leur seizième et leur quinzième année, à la veille de passer leur brevet, une nuit que la lune répandait la traîne d’argent de sa robe céleste sur le velours d’un océan paisible, le bras allongé vers le large, Jean dit à ses parents :

— Il ne nous convient de devenir des instituteurs. Il faut que nous naviguions.

— Seigneur Jésus ! s’exclama Maharit consternée, voudriez-vous faire le métier de ces gueux de pêcheurs qui manquent de pain chaque hiver ? Julien répartit :

— Non ! le vol de ces alouettes de côte est trop court pour nous. Chaque soir, ces sardiniers semblent partir pour le Pérou, mais chaque matin les ramène à terre. Jean et moi, nous voulons voguer, des mois et des mois, sur des vaisseaux où notre instruction puisse servir à les bien gouverner.

Un matin de mai que les pommiers enchantaient l’humble campagne armoricaine de leur floraison, les deux frères, leur sac sur l’épaule, s’acheminèrent vers Pont-l’Abbé où ils devaient prendre le train qui les conduirait au port de Nantes. Jean et Julien n’étaient pas seuls. Ils tenaient chacun par la main une jeune fille, leurs fiancées : Nonna et Anne Lanvern. Derrière ces jeunes gens, à une certaine distance, Job et Maharit Buanic, consternés, suivaient avec des mines d’enterrement.

Malgré le mépris injustifié de leur père et de leurs frères pour ceux qu’ils nommaient : « les petits clercs de campagne », les jeunes filles avaient déclaré qu’elles les reconnaissaient pour leurs fiancés et qu’elles les épouseraient.

— Damnation ! s’était écrié le violent Gurval, n’auriez-vous point honte d’être les femmes de ces « gratte-papier » ?

Quelle fut donc la surprise du patron Lanvern et des cousins Gourlaouen et Nédélec, prétendants dédaignés des jeunes filles, lorsqu’elles affirmèrent un jour, que Jean et Julien, inscrits maritimes depuis le mois précédent à l’insu de tout le bourg, avaient obtenu de M. Kerjean, l’armateur de Quimper, un embarquement sur le grand quatre-mâts « Le Fraternel » qui ramènerait du Chili les salpêtres d’Iquique.