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son existence fut en proie à la lutte, à l’inquiétude. Il a été sans cesse à la peine, il n’a guère été à l’honneur. La veille de sa mort, il connaissait les mêmes affres qu’aux jours de ses débuts. Que dis-je ? Il n’y a ni tristesse, ni désespoir à l’heure de l’entrée dans la vie, mais quelle mélancolie et quelle amertume s’emparent de l’artiste vieilli, chargé de famille, et forcé encore de résoudre au jour le jour la terrible difficulté de vivre ! Pourquoi ne pas dire que ce fut le sort de Sisley, qu’il le supporta avec cet héroïsme farouche et caché qui ennoblit si mystérieusement la vie des solitaires. S’il gémit et désespéra, ce fut en secret, et pour les siens. Pour lui, ceux qui l’ont connu tout au long de sa carrière ont porté témoignage qu’il n’eut jamais que la préoccupation de son art, l’orgueil de vaincre la nature en ce combat journalier que livre l’artiste, l’espoir qu’il aurait fixé sur ses toiles un peu de la beauté fugitive des choses éternelles.

Cet espoir n’aura pas été trompé. Au jour où fut annoncée la mort de Sisley, après tant de souffrances volontairement et fièrement dissimulées, les toiles possédées par ceux qui avaient été les croyants des anciens jours prirent soudain un prestige nouveau, et toutes celles qui attendaient par le monde l’agio des marchands et le caprice

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