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ainsi qu’ils nomment noire système orthographique. On doit, disent-ils, écrire comme on prononce, et supprimer toutes les lettres inutiles. Ces novateurs admirent sans doute la phrase célèbre du caporal d’ordinaire qui déplorait en son patois la mauvaise qualité du pain et son peu de cuisson, et rédigeait ainsi son rapport : Pin-pa-bon-é-pa-zacé-kui. Volontiers, ils annonceraient la mort d’une personne en ces termes LÉDCD (elle est décédée).

Mais ces iconoclastes farouches sont en petit nombre, et c’est tout au plus si leurs récriminations violentes et leurs projets de réforme ortografik’ obtiennent de temps à autre un succès de gaieté[1] La masse n’est pas avec eux ; elle subit sans murmurer les lois qui lui sont imposées, et ne songe même pas à demander qu’on en abroge quelques-unes. On a dit à nos contemporains que le fait de mettre ou de ne mettre pas l’orthographe distinguait seul, en ce siècle d’égalité, le bourgeois du palefrenier endimanché, la maîtresse de maison de la cuisinière en toilette ; ils ont donc appris l’orthographe, et ils la font apprendre à leurs enfants, d’autant plus que les jurys d’examens, à tous les degrés de la hiérarchie, se montrent intraitables sur cette question. Mais parmi les modérés eux-mêmes, il est des hommes qui déplorent en secret un tel état de choses. Il leur paraît infiniment regrettable de perdre sept ou huit ans pour obtenir un résultat si mince, pour

  1. En 1827, un d’entre eux fit imprimer une brochure dont on rendit compte en ces termes : « M. N… publie le livre suivant : Apel o Fransé, réforme ortografique. Il ne doute point du sugsè, il prétend avoir pour lui un proféseur de rétorique, un qolonel et le directeur de la Revu ansiclopédique. » Ce réformateur compta, dit-on, jusqu’à 33 000 adhérents ; mais sa réforme, qui remonte à soixante ans, vécut tout juste ce que vivent les roses.