Page:Gazier - Histoire générale du mouvement janséniste, depuis ses origines jusqu’à nos jours, tome 1.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
histoire du mouvement janséniste

d’humilité et d’ignorance dont elles s’efforcent d’envelopper et de couvrir leur pensée ne sont que pour la forme et pour le prétexte. » Cette pensée de derrière la tête, c’est qu’elles ne veulent pas condamner Jansénius, l’ami le plus intime de Saint-Cyran leur réformateur et leur père. Et quelques pages plus haut, il insinue que malgré les déclarations si nettes de la Mère Angélique à la reine mère, les pieuses filles en savaient beaucoup plus long qu’on ne le disait sur les questions doctrinales, et qu’en somme refuser la signature « c’était pour des filles faire acte plus ou moins de docteur, et décidément prendre fait et cause pour certaine doctrine[1] » ! C’est là une imputation grave, car elle revient à accuser d’hypocrisie et de mensonge celles qui se sont exposées à tout pour ne pas mentir, et Sainte-Beuve disant qu’elles en savaient sans doute bien long sur la question du jansénisme, a peut-être été un peu léger en ne tenant pas assez de compte d’un document qu’il a pourtant connu et utilisé, les interrogatoires de religieuses faits par le doyen de Contes et par Louis Bail lors de la visite qu’ils firent ensemble du 11 juillet au 2 septembre 1661, au moment même où se posait dans toute son acuité la question des signatures. Les visiteurs avaient tout examiné avec un soin méticuleux ; ils avaient interrogé l’une après l’autre soixante-dix-neuf religieuses de chœur et vingt et une converses dont quelques-unes ne savaient ni lire ni écrire ; et ces cent interrogatoires leur avaient révélé l’innocence de ces filles, leur ingénuité, leur horreur du mensonge et des faux fuyants, et plus que tout leur parfaite ignorance de ce qui s’appelle le jansénisme. Elles n’avaient lu ni La

  1. Port-Royal, tome IV, p. 132 et sq.