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de Chelles. Le témoignage de ces statues-portraits françaises de la première moitié du xive siècle eût été bien intéressant à produire, mais il ne pouvait être question de violer à nouveau les sépultures de Saint-Denis pour en déplacer les gisants. Une très intéressante et très rare figure iconique en bois, debout, les mains jointes, appartenant à M. de Sainville, en tenait lieu en quelque mesure. Figure commémorative de donatrice, du reste, plutôt que figure funéraire, elle représente une dame en costume laïque du temps de Philippe le Bel : la draperie y indique des recherches de style et d’élégance qui la rattachent encore à la moyenne des figures de l’époque, mais certaines nuances réalistes s’y accusent déjà.

Ce sont des chefs-d’œuvre, au contraire, d’art réaliste et très pénétrant que ces deux effigies magistrales de Charles V et de Jeanne de Bourbon[1], placées jadis aux deux côtés du portail de l’église des Célestins de Paris, ainsi que nous les montrent les gravures anciennes exécutées soit pour Montfaucon, soit pour Millin[2]. L’église même avait été bâtie aux frais du roi, non loin de son hôtel de Saint-Paul, et consacrée en 1370. Elle faisait, parmi les constructions entreprises par ce roi « vray architecteur, deviseur certain et prudent ordeneur », l’admiration particulière de Christine de Pisan, qui mentionne précisément nos deux effigies : « la porte de cette église a la sculpture de son ymage et de la royne s’espouse, moult proprement faite ». Les deux images restèrent en place jusqu’à la Révolution, avec quelques avaries seulement dont témoigne la gravure de Millin[3]. Puis elles entrèrent au musée des Monuments français où elles passèrent pour représenter saint Louis et Marguerite de Provence ; lors de la dispersion de son musée, en 1817, Alexandre

  1. Catalogue, no 307.
  2. Antiquités nationales, I, no III, pl. 2. Au trumeau figurait une statue du pape Célestin V, canonisé sous le nom de saint Pierre Célestin.
  3. Dans la gravure de Millin, exécutée très peu de temps avant le transport aux Petits-Augustins, le Charles V porte encore sur le bras gauche le modèle de l’église qu’il a consacrée, mais la main droite manque ; les deux mains de la reine manquent également. Nous ne savons pas si Lenoir fit réparer les statues. Les restaurations assez nombreuses que nous y apercevons nous paraissent dater plutôt du milieu du xixe siècle siècle et avoir été faites sous la direction de Yiollet-le-Duc. Les deux mains du Charles V sont modernes, son sceptre et le modèle de l’église également. De même les deux mains de la reine, son sceptre et son livre. Pour cette dernière figure, le complément est même moins heureux, et l’un des bras s’emmanche très mal. Les couronnes sont en partie refaites. Enfin le bas des plis du manteau l’est également, mais avec beaucoup de bonheur et de sens de la draperie gothique.