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que Fouquet donne habituellement aux Juifs ; ils font tous des gestes de dénégation et d’étonnement. Ceux de droite, au contraire, imberbes, vêtus de longues robes, les mains jointes, paraissent accepter avec joie et recueillement quelque bienfait céleste. Des rayons lumineux, descendant du ciel, se répandent au-dessus des deux groupes.

Ce sujet, traité avec autant d’habileté que de noblesse, semblerait assez difficile à expliquer, car le médaillon où il est figuré doit n’être qu’un élément d’une série disparue ou à retrouver. On peut toutefois en déterminer le sens, grâce à des miniatures anciennes[1]. Dans la partie des Très belles Heures du duc de Berry qui appartient à Mme la baronne Adolphe de Rothschild[2], figurent deux remarquables peintures du début du xve siècle, dont le sujet est analogue à celui de l’émail de Berlin. Elles ornent toutes deux l’office du Saint-Esprit, et se rattachent à son culte. Dans l’une (p. 173) on voit plusieurs personnages, agenouillés ou debout, recevant avec respect des rayons dorés qui tombent de l’angle supérieur gauche de la miniature, où plane le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe ; dans l’autre (p. 176), plusieurs personnages debout, dont quelques-uns sont coiffés de turbans, tournent le dos, avec des gestes de refus, à des rayons dorés que verse sur eux, comme dans la peinture précédente, la colombe divine. L’émailleur a fondu en une seule composition ces deux scènes, qui sortent de l’iconographie courante, et qui représentent l’Esprit Saint accepté par les chrétiens et refusé par les incrédules.

Si maintenant on considère le style de cet émail, on est frappé des ressemblances qu’il offre avec les œuvres certaines de Jean Fouquet. Des comparaisons minutieuses permettent de retrouver dans les Heures d’Étienne Chevalier, par exemple, des figures presque identiques à celles de l’émail. Ainsi le personnage barbu debout au premier plan ressemble au Pilate du Christ devant Pilate et à l’un des assistants de la Mise au tombeau ; la manière dont son manteau est drapé, et son avant-bras relevé horizontalement, rappellent certaines figures du Mariage de la Vierge, de l’Assomption, de la

  1. Cette indication m’a été très obligeamment donnée par mon savant confrère et ami M. le comte Paul Durrieu, à qui je suis heureux d’exprimer ma vive reconnaissance.
  2. Une autre partie de cet admirable manuscrit, séparé aujourd’hui en trois morceaux, a été publiée par M. le comte P. Durrieu : Heures de Turin ; Quarante-cinq feuillets à peintures provenant des Très belles Heures de Jean de France, duc de Berry. Paris, 1902, in-folio, pl. — Le morceau de Turin a malheureusement été brûlé lors du récent incendie de la Bibliothèque de cette ville.