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au bas des miniatures des Heures d’Etienne Chevalier (v. la figure ci-contre). D’autre part, cet emploi du latin, cette très légère pédanterie, ne saurait surprendre chez un artiste qui est allé en Italie, connu Filarete, a prodigué les S. P. Q. R. dans les sujets antiques qu’il a peints, et a même copié des monuments romains[1]. De plus les artistes français du xve siècle siècle, à l’exemple de Jean de Bruges et de Jean van Eyck, ont volontiers signé en latin, témoin Nicolas Froment ou les enlumineurs Jean de Montluçon[2] et G. Hugonnet.

Enfin, M. de Mély trouve « un sentiment italien… manifeste dans l’économie de ce petit émail ». A cela il est difficile de répondre autrement que par une simple dénégation catégorique. Pour quiconque a l’habitude de regarder des œuvres d’art, peu de pièces portent aussi clairement la marque de leur temps, de leur pays et de leur auteur. N’a-t-on même pas voulu identifier avec l’émail du Louvres l’Inconnu de la collection du prince de Liechtenstein[3] ? Il n’y a d’italien, dans cet objet, que l’origine de sa technique. Courajod a démontré[4] que l’émail en camaïeu d’or avait dû être enseigné à Fouquet par Filarete, qui le pratiquait certainement, témoin la statuette en bronze, décorée d’émaux de ce genre, qu’il fit pour Pierre de Médicis en 1465, et qui est conservée à Dresde[5]. Que ce procédé du camaïeu d’or ait plu à Fouquet, c’est ce que prouvent les nombreux médaillons et bas-reliefs peints de la sorte, qu’il a placés au bas de grandes miniatures des Heures d’Etienne Chevalier[6].

Aussi, à notre avis, ne saurait-il subsister aucune hésitation sur date qu’il convient d’attribuer à l’émail du Louvre : c’est bien un œuvre française, du milieu du xve siècle, qu’on peut attribuer Fouquet lui-même. Nul n’aurait probablement été tenté d’élever

  1. P. Leprieur, Note sur le cadre du diptyque de Melun (Bulletin de la Soc. des Antiquaires de France, 1897, p. 315-316).
  2. Catalogue de l’Exposition des Primitifs français. Paris, 1904, in-8o : Manuscrits, p. 76.
  3. Ce tableau est daté, mais on hésite entre 1456, 1457 et 1470. Cf. Leprieur Jean Fouquet, p. 347 ; — M.-J. Friedländer, Die Votivtafel des Estienne Chevalier von Fouquet (Jahrbuch der kgl. Preussischen Kunstsammlungen, 1896, p. 213) ; — P. Vitry De quelques travaux récents relatifs à la peinture française du xve siècle. Paris, 19 in-8o, p. 9.
  4. L. Courajod, Quelques sculptures en bronze de Filarete (Gazette archéologique. 1885, p. 387-391), — et Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 1887, p. 2
  5. C’est là sans doute ce que M. de Mély appelle « l’émail de Vienne » (ou cité, p. 461, note 1).
  6. Gruyer, Les quarante Fouquet. Paris, 1897, in-4°, pl. 6, 10, 29, 34 et 35. Voy. notamment le Martyre de sainte Catherine et l’Intronisation de saint Nicolas.