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sont pas des figures rêvées, ce sont des figures vues et bien vues dans la vie réelle. On y sent que, si l’auteur de cette peinture, ordonnée et éclairée comme un vitrail de rosace, dut être un admirable compositeur de verrières, ce dut être aussi un étonnant portraitiste. La preuve en est fournie, d’ailleurs, par les volets même du triptyque où Pierre de Bourbon et Anne de France, avec sa fille Suzanne, se font présentera la Vierge par leurs patrons. Ces deux superbes figures, le saint Pierre portant, avec une tiare splendide, une chasuble somptueuse de brocart chargée de broderies et d’orfèvreries, la sainte Anne, non moins bien vêtue, en coiffe montée et godronnée, recommandent à la Vierge leurs clients avec une noblesse bienveillante, un geste de protection insistante qui contraste avec l’attitude souvent indifférente des patrons italiens, et relie les volets au centre. Par sa magnificence, le saint Pierre rivalise avec les plus beaux papes de la Renaissance ultramontaine, comme, par sa grâce imposante et son ajustement, la sainte Anne avec ses plus belles saintes. Tous deux, par le type, l’allure, l’arrangement, sont des Tourangeaux apparentés aux créations du grand sculpteur Michel Colombe ; tous deux, types revus sur nature, ne sont que des portraits sanctifiés.

Il semble, d’ailleurs, qu’a ce moment le portrait, souvenir de famille ou glorification de l’individu, se présentât plus volontiers encore dans les tableaux d’église, sous une protection céleste, qu’à l’état isolé, dans un simple cadre. Deux autres panneaux attribués au maître de Moulins, fragments de diptyques ou de triptyques dépecés, nous montrent encore une Donatrice avec sainte Madeleine (coll. Somzée, puis coll. Agnew, puis musée du Louvre)[1], et un Donateur avec un saint guerrier (musée de Glasgow)[2]. Dans les deux les figures sont à mi-corps. Les deux sont d’admirables peintures, pour la technique comme pour le sentiment, où la science du physionomiste exercé et pénétrant s’affirme avec une intensité de plus en plus magistrale, aussi bien dans les figures saintes que dans les figures humaines, toutes aussi vivantes les unes que les autres, aussi poétiquement ennoblies par la sincérité grave et sereine de l’émotion pieuse. Dans le premier tableau, que, depuis son apparition signalée à l’Exposition Universelle de 1900[3], le musée du Louvre n’avait cessé de convoiter et qu’il vient enfin d’acquérir, les deux Madeleine se ressemblent si fort qu’on est tenté d’y voir la mère et

  1. Gravé dans la Gazette des Beaux-Arts, 1901, t. II, p. 376.
  2. Reprod. dans la Gazette des Beaux-Arts, 1901, t. II, p. 351.
  3. G. Lafenestre (Gazette des Beaux-Arts, 1900, t. II, p. 395)