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de la peinture furent pour très peu de chose dans cette opposition. Quelques-uns de ces peintres assurément innovèrent dans la technique des procédés, en tendant à diviser de plus en plus la lumière et en se servant de hachures droites ou courbes. Cela fut sans doute une des raisons de la surprise et de la résistance du public ; or, aujourd’hui cela n’est plus pour nous surprendre, attendu qu’un nombre de peintres de plus en plus grand use tous les jours des mêmes procédés. J’ajoute qu’en vieillissant les couleurs se fondent et que les duretés de la division des tons s’atténuent de plus en plus.

Voilà donc comment nous sommes faits à cette peinture qui a tant choqué la génération précédente. Nous avons oublié les paradoxes des peintres et oublié leurs théories. Et puis l’âge a fait son effet ; les tableaux ont vieilli, se sont unis, égalisés ; quelques-uns ont gagné, d’autres ont perdu, et l’on peut remarquer que, de toutes les qualités, celle qui assure le plus la durée, c’est le dessin. Les tableaux de M. Degas sont mûrs pour les salles des petits maîtres dans la quasi-éternité des grands musées. Par contre, quelques-unes des délicieuses vapeurs lumineuses de Claude Monet perdent un peu de leur charme ; elles ont leur crépuscule. Tout cela n’est pas encore bien assuré ; mais on commence à s’y débrouiller et à apercevoir ce que sera la justice distributive du temps.

Ces raisons ont leur valeur ; mais elles ne me satisfont pas tout à fait. Oui, il y a déjà un effet de vieillissement ; les toiles ont changé ; l’état d’esprit des artistes a changé aussi. Mais ce n’est pas tout : le public aussi a changé, je veux dire le public relativement instruit, et qui prétend faire la loi. Il est bien certain que les artistes qui travaillaient il y a quelque quarante ans avaient à affronter une opinion publique aussi arriérée, aussi ignorante et aussi imbue de préjugés qu’il se puisse imaginer. Car il est une réflexion qui doit venir à tous les esprits : ces « révoltés » dont nous venons de parler étaient, en somme, des peintres de tous les genres et de toutes les écoles : quel autre lien y avait-il entre Manet, Sisley, Fantin-Latour, Renoir, Raffaëlli, qu’une haine commune et une commune persécution ? Faudra-t-il donc dire que tous les peintres de quelque valeur à cette époque étaient contrariés et rencontraient une absurde opposition ? C’est la vérité, et en même temps qu’eux et avant eux, nombre d’autres avaient rencontré la même opposition : Corot, Daubigny, Théodore Rousseau, Jean-François Millet, et même le médiocre et honnête Troyon. Il ne faut pas oublier qu’Harpignies se vit pendant des années refusé au Salon ; et je suis assez vieux pour me rappeler le temps où le