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exactement en deux le cadre. « Ah ! palsambleu, voilà pour le coup qui est fort ! voilà qui est réaliste ! voilà pour river son clou au bourgeois ! ce n’est pas Raphaël qui aurait coupé un monsieur en deux de la sorte ! ce n’est pas Poussin, ni même Louis David ! Mais nous autres, nous ouvrons l’œil sur la nature et nous la prenons telle qu’elle est, tout droit, sans choix, comme des brutes. » J’avoue que ce petit paradoxe me gêne un peu, et que je n’ai pas le courage de me mettre en colère. Il y a dans Manet deux hommes, l’un qui peint de telle sorte que je l’aime, le comprends, et me sens ému ; et dès lors il faut croire que c’est un symboliste, ou, comme diront d’autres, un idéaliste, un généralisateur, si vous voulez. Et puis il y en a un autre dont j’aperçois très bien l’état d’âme, fait de doctrines imprécises et d’excitation littéraire. Voyez encore l’Olympia : ce serait un chef-d’œuvre, sans l’expression sotte et bestiale de la tête, car cela nous gène. C’est un morceau de peinture prodigieux ; mais quel réalisme y pouvons-nous découvrir ? Quoi de plus composé, de plus artificiel que tout cet arrangement ? La femme nue, le lit, l’esclave noire, la draperie, tout accuse la volonté réfléchie de rajeunir les anciens maîtres, de les renouveler aux couleurs bizarres et morbides de la poétique ultra-romantique. C’est Titien et c’est Velazquez ; mais c’est aussi Baudelaire et Edgar Poe. Ce n’est pas que je m’en plaigne au moins. Mais je constate un fait ; et après cela, je vous en prie, que l’on ne nous parle plus de réalisme.

Il faut ajouter que les théories absolues de ces peintres avaient encore, pour choquer une partie même assez cultivée du public, le tort d’être passionnées et injustes. Nos impressionnistes avaient des haines vigoureuses et ils avaient bien raison d’en avoir, quand il s’agissait pour eux de combattre une soi-disant peinture historique, académique et conventionnelle ; mais ils allaient plus loin. Ils ne se contentaient pas d’accabler de leurs coups Abel de Pujol, Drolling ou Robert Fleury. De même que les romantiques, par-dessus la tête de Luce de Lancival et d’Ecouchard-Lebrun, allaient atteindre Racine et Corneille, les impressionnistes triomphaient d’Ingres et de Raphaël. Le gros Courbet, le plus oublié peut-être d’entre eux, qui ne disait pas grand’chose, aimait du moins à répéter de son lourd accent franc-comtois des maximes comme celle ci : « Raphaël, c’est pas de la peinture ». C’était encore un des torts de cette petite école.

On commence donc à s’expliquer peu à peu ce qui souleva tant d’opposition contre ces peintres dont les œuvres pour la plupart nous paraissent aujourd’hui si acceptables. Les procédés proprement dits