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sionnistes fut Zola. Il écrivit pour eux des volumes où l’abus du pronom possessif aurait dû éveiller leur méfiance : Mon Salon, Mes Haines. Ce dernier rejeton des romantiques se figura toute sa vie qu’il avait triomphé du romantisme et qu’il avait créé un art nouveau ; cet art devait être scientifique, ce qui, à la réflexion, parait presque aussi difficile à concevoir qu’une science qui serait artistique. Nos peintres, fidèles observateurs de la nature, se figurèrent aisément, sous l’influence de ce puissant écrivain, que leur œuvre se bornait absolument à l’imitation servile de la nature et acceptèrent volontiers de s’appeler naturalistes. Cette doctrine, soi-disant nouvelle, fut bruyamment et violemment proclamée, au grand scandale des partisans de l’Académie, qui de leur côté se pensaient idéalistes, sans définir trop bien non plus la valeur de ce mot.

Ainsi qu’il arrive très souvent en ce monde, depuis que l’on n’y apprend plus la logique, les deux écoles adverses avaient mal posé la question. Car, ainsi que nous l’observions plus haut, dire absolument qu’un artiste est purement naturaliste ou purement idéaliste, c’est dire une absurdité ; mais dire que dans toute œuvre d’art la nature et l’idéal ont leur place, c’est formuler une copieuse banalité. On se prend à sourire vraiment, en regardant, comme nous venons de le faire, les tableaux de l’école dite naturaliste, lorsqu’on songe que les auteurs de ces tableaux prétendaient n’avoir point d’idéal, et qu’ils croyaient reproduire simplement et directement et scientifiquement la nature. Il faudrait vraiment que leur exemple servît de leçon et permît d’établir pour l’avenir ces vérités absolues : l’œuvre d’art objective est un mythe ; toute œuvre d’art est subjective.

Combien subjectives toutes les œuvres de ces soi-disant naturalistes ! Il me semble que je pourrais définir les âmes de ces hommes une à une et en détail, reconnaître les influences morales, artistiques, et surtout littéraires, qui ont pu agir sur chacun d’entre eux. Ce qui est remarquable, c’est qu’ils ne se ressemblent pas entre eux et que la différence de leur origine morale et de leur idéal nous paraît à chaque moment. J’y réfléchissais surtout en songeant à Manet, le plus peintre peut-être de tous ces peintres, et sans doute le moins intellectuel d’eux tous. Celui-là n’a pas un mérite qui ne soit mérite de peintre. C’est un œil et une main ; mais les dons de cet œil et de cette main sont tels qu’il est impossible de n’y pas prendre plaisir, si l’on aime la bonne peinture. Tout ce qui chez lui ne relève pas directement du don de peindre est, disons-le franchement, plutôt désagréable. On le sent rempli de préjugés, de théories, de para-