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sonne, car en réalité il n’en peut pas être autrement. Il est assurément des œuvres qui entrèrent là au petit bonheur, et quelques-unes sont surprises de s’y voir. Il en est d’autres qui en sortent de même, sans qu’on puisse non plus bien apercevoir la raison de leur exil, par suite d’encombrement, d’oubli ou de diverses nécessités[1]. Et enfin il en est qui y séjournent indéfiniment, et l’on ne saurait trop dire pourquoi non plus, si ce n’est que pour elles le procès devant l’opinion publique ne paraît pas encore définitivement tranché, et que l’on ne sait pas bien encore si leur fortune les dirige vers le Louvre ou vers un musée de province. Car telles sont les deux destinations où conduit le musée du Luxembourg ; si je l’ai déjà comparé à une antichambre, me voici amené à le comparer encore à un corridor, à un carrefour, à une galerie qui aurait deux issues, ou deux portes, comme dans les antiques Enfers : la porte d’ivoire, qui est celle du Louvre, et la porte de corne, qui est celle des chefs-lieux de départements.

C’est là, dans ce passage ou dans ce carrefour, qu’il fait bon méditer sur la destinée des tableaux. Où sont les neiges d’antan ? Où sont les tableaux d’avant-hier ? Que sont devenues ces grandes machines historiques, à la façon de Paul Delaroche, à celle de Devéria, et à celle de Thomas Couture, que nous vîmes là, vous en souvenez-vous, aux jours, hélas ! lointains, de notre jeunesse ? Où sont-elles ? je n’en sais rien, mais où qu’elles soient, soyez assurés qu’elles sont mortes, ou moralement, par l’oubli qui pèse sur elles, ou même matériellement, par l’excès de bitume, de « momie » ou d’autres couleurs indigestes dont leurs ombres furent saturées. Elles sont mortes : le Luxembourg avait assisté à leur longue et pénible décrépitude. Il leur a un jour ouvert sa porte de corne, et leur lente agonie est allée se continuer on ne sait où. Puis l’heure fatale est venue.

Il est d’autres tableaux, que le Luxembourg a vus vieillir et pour qui l’épreuve de l’âge fut heureuse ; car, contrairement aux hommes, les tableaux ne considèrent pas toujours la vieillesse comme un mal. C’est parfois leur plus grand bien. Sur le chemin de la porte d’ivoire les peintres reçoivent des couronnes. L’âge leur apporte parfois la justice qui leur était due. Ce qui était honnête dans leur vue, sincère dans l’expression qu’ils y donnaient, le dessin inter-

  1. Est-il besoin de répéter qu’on écarte toute idée de critique et qu’on se rend compte des difficultés presque insurmontables que rencontre la plus intelligente et artistique direction ? Il sera permis pourtant, par exemple, de regretter la disparition de tout échantillon de l’œuvre de Charles-Marie Dulac, œuvre fragmentaire, mais admirable.