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plicité » de son art. Il y a, en effet, de lui une série de portraits, de mise en scène plus intime, qui contraste avec l’agitation des étoffes et la superbe des attitudes communes aux toiles de Largillière et de Rigaud. La gravure nous en a laissé quelques interprétations où se sent la vigueur des originaux : L’Abbé Capperonier, professeur de langue grecque au collège Royal (gravé par Lépicié), Le Père de Lynières, confesseur du Roi, devant un prie-Dieu (gravé par Baléchou), surtout le Jean-Baptiste Rousseau (gravé par Daullé et par Delvaux), qui compte pour une de ses œuvres principales.

Le poète y est figuré à l’âge de 68 ans. « Il est assis de côté, le coude appuyé sur une table, tenant dans sa main quelques feuilles de papier… On juge par l’attitude et surtout par le caractère de la tête de tout l’esprit et de toute la facilité qu’ont le peintre et le modèle. C’est un visage rond, haut en couleur, et veiné admirablement. Tout le feu de ses ouvrages est dans ses yeux qu’il a plus petits que grands : il est à parier qu’il est dans un moment d’épigramme[1] 1. »

Aved avait exécuté là l’effigie d’un ami pour qui son attachement était connu de tout le monde. Jean-Baptiste Rousseau, forcé vers la fin de 1738, la même année que ce tableau venait d’être exposé au Salon, de s’exiler à Bruxelles pour échapper à des poursuites au sujet d’un libelle dont il n’était d’ailleurs pas l’auteur, s’était, au cours de l’hiver, hasardé subrepticement à Paris ; Aved lui avait donné l’hospitalité. Le poète, en reconnaissance, avait buriné un sonnet à son adresse, avec un soin tout particulier, s’y remettant même à deux fois pour plus de perfection, mais, à vrai dire, sans atteindre pour cela à plus de relief :

L’art te fit, cher Aved, un don bien précieux :
Il t’apprit le secret de surprendre les yeux
Et de rendre le vrai jaloux de la peinture ;
Le pinceau de Timanthe est ce que tu lui dois ;
Mais le cœur que sans lui te forma la nature
Est un présent plus rare et plus beau mille fois.

C’est ainsi qu’il jugeait l’ami. Voici comment, d’après une lettre à son correspondant habituel, Boutet de Monthery, il appréciait l’artiste :

3 janvier 1740.

« Vous me demandez mon sentiment sur Aved ; c’est après tout le meilleur ami que j’aie, et sans flatterie je le crois pour le portrait

  1. Lettre à Mme la Marquise de S. R. P. sur le Salon de 1738.