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GAZETTE DES BEAUX-ARTS productions d’un Grimou, les deux amis étaient du petit nombre de ceux qui l’appréciaient dans tout son génie. Lui aussi, Chardin l’étudia à fond; il lui emprunta quelques-unes de ses plus belles séductions, ses francs modelés, ses fauves transparences, les cuis¬ sons dorées de sa pâte, enfin ce secret, pour les scènes d’intérieur, de renfermer toute une intention, toute une pensée, dans le chemine¬ ment d’un clair-obscur. A son tour, le portraitiste regardait travailler le peintre d’inti¬ mités. D’un aussi fortifiant exemple, il tirait ce goût pour les arran¬ gements familiers, ce « grand charme de simplicité », cette « sincérité naïve » que lui reconnaissaient universellement ses contemporains. Peut-être celte simplicité est-elle moins apparente à nos yeux d’au¬ jourd’hui; car si Aved s’est souvent débarrassé de ces accessoires, uniquement d’apparat, habituels aux Largillière et aux Rigaud, il a plus d’une fois conservé à ses personnages, même à ceux qu’il nous a représentés dans leur intimité, un certain mouvement un peu apprêté de drapé qui ne répond pas tout à fait au calme, au naturel, au recueillement du « chez soi ». C’est comme une concession faite au goût du temps, auquel, moins qu’aucun autre, le genre du por¬ trait ne pouvait se soustraire. Quand lui arrivait la bonne aubaine d’un portrait dans la note familière qu'il aimait, c’est alors qu’il accumulait les accessoires, feuillets en désordre, cartons pleins à crever, rouleaux de papier, in-folio aux pages baillantes et cornées, respirant la fièvre des doigts qui les ont tournées, et rendues par des blancs gras et savoureux d’un caractère particulièrement rembranesque. Dans ces mises en scène sans façon, son graphique se faisait large, cursif, s’accordait de l’espace pour se développer, et, plus que probablement, à l’instar de son ami, il dessinait de son pinceau, directement, à même la toile. Ce sont ces similitudes de facture entre les deux amis qui ont causé la méprise devant le portrait de Montpellier, reconnu pour être celui de Mme Crozat. Mais Aved ne serait-il pas aussi l’auteur de cette peinture que, par une coïncidence curieuse; un testament de Mme Nathaniel de Rothschild léguait à Carnavalet, il y a quelque temps, sous la dénomination derechef proposée de « Mmc Geoffrin, par Chardin »? Une gravure de Laurent Cars d’après C.-N. Cochin, datée de 1755, offrant de grands rapports de ressemblance avec cette toile, semble fixer sur le modèle véritable : on pourrait bien être en présence de Françoise-Marguerite Pouget, la seconde femme du maître, celle qu’il avait épousée en 1744, lui âgé de quarante-