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DUVERNEY. Il est excellent, sire ; nous n’avons jamais ici de malades…

LE ROI, à part. Elle est partie !

DUVERNEY. Et les personnes convalescentes y retrouvent la santé comme par enchantement.

LE ROI. Oui, je comprends qu’il faille un motif puissant pour quitter un séjour si agréable. Je sens déjà le regret de m’en éloigner sitôt ; mais j’ai promis d’être de bonne heure de retour à Versailles.

DUVERNEY, consterné. Quoi, sire ! je ne jouirais pas plus longtemps de l’honneur que votre majesté daigne me faire ?

LA MARQUISE DE MIREPOIX, à Adélaïde. Nous sommes perdues ! le roi est mécontent de notre réception. (Au Roi.) Ah ! sire, excusez-nous de n’avoir pas été prévenues plus tôt de l’arrivée de votre majesté ; nous n’aurions pas manqué d’aller l’attendre au bas du perron, si nous n’avions été retenues ici par madame, qui se trouve un peu indisposée…

ADÉLAÏDE, forçant sa sœur à se montrer. Venez donc, chère Marianne, nous excuser près de sa majesté.

LE ROI, vivement ému, à part. C’est elle ! (Haut.) Quoi, madame ! vous êtes encore souffrante ! Pourtant on nous avait dit que l’air du château de Plaisance vous avait complétement guérie, et qu’il ne vous restait plus aucun souvenir de ce que vous aviez éprouvé à Versailles.

LA MARQUISE, fort troublée. Il est vrai, sire, le calme dont on jouit ici m’a fait beaucoup de bien.

LE ROI. Ainsi nous pouvons concevoir l’espérance de vous revoir bientôt à la cour.

LA MARQUISE. Pas encore, sire ; la reine a bien voulu me permettre de rester ici tout le temps que j’aurais besoin de l’air de la campagne ; et je compte profiter de la bonté de sa majesté.

LE ROI, regardant la Marquise. En effet, je conçois qu’on se plaise beaucoup ici.

RICHELIEU, bas, à Duverney. Insistez pour que le roi reste ; vous lui ferez plaisir.

DUVERNEY. Puisque sa majesté pense tant de bien de ma retraite, j’espère qu’elle daignera y passer la soirée.

LE ROI, d’un air de complaisance. Eh bien, puisque vous le voulez tous, Maurepas préviendra le marquis du Châtelet que je coucherai cette nuit au château de Vincennes.

DUVERNEY. Ah ! sire, que de bonté !

On entend de la musique dans le lointain.

RICHELIEU. Voilà le signal de la fête ; il faut d’abord que sa majesté traverse ces belles serres avant de se reposer à la salle de spectacle ; n’est-ce pas, Duverney ? Ah ! je connais le programme.

LE ROI, s’approchant de la marquise de la Tournelle. Ne consentirez-vous pas, madame, à me servir de guide dans ces beaux jardins que vous préférez aux nôtres ?

Il lui offre la main, alors chacun se retire.

LA MARQUISE. C’est trop d’honneur, sire ; et madame de Mirepoix…

LE ROI, bas, à la Marquise. Ne refusez pas, sinon je pars à l’instant même ; votre présence est ma vie, et si vous vous obstinez à rester ici… eh bien, je viendrai m’établir à Vincennes.

LA MARQUISE. Ah ! sire, que penserait la reine ?

LE ROI. Elle penserait qu’il n’est point de folie dont je ne sois capable pour vous voir un instant. Aussi est-ce au nom de votre attachement pour elle que je vous supplie de revenir à Versailles.

LA MARQUISE. Ô ciel ! que faire ?

LE ROI. Vous fier à mon honneur, me guider, m’empêcher de nous perdre tous deux.

LA MARQUISE, paraissant inquiète. Mais on peut vous entendre, sire…

LE ROI. Un seul mot encore. Revenez dès demain à Versailles, ou je ne réponds plus de moi. Je veux qu’en entrant dimanche à la chapelle votre regard m’ordonne la prudence.

LA MARQUISE, tremblante. J’irai, sire, j’irai… y prier le ciel de vous rendre à la reine, à la France, à vous-même.

LE ROI, se retournant. Eh bien, Duverney, n’est-ce pas le moment d’admirer vos serres, d’applaudir à votre théâtre ? Jamais on n’a vu tant de plaisirs réunis, et jamais non plus je n’ai été si bien disposé pour en jouir. (Regardant les ornements du pavillon.) En vérité, tout cela s’est décoré par magie.

DUVERNEY. C’est que l’enchanteur n’était pas loin, sire.

RICHELIEU, à Duverney. Fort bien, mon cher.

MAUREPAS, à la marquise de Mirepoix. Oui, pas mal pour une flatterie de financier.

DUVERNEY, à la Marquise. Madame la marquise, veuillez faire les honneurs du jardin à sa majesté.

Le Roi offre sa main à la Marquise, et se dirige vers les serres ; la cour le suit.

LA MARQUISE DE MIREPOIX, à Maurepas. Allons, c’en est fait, le règne de madame de Mailly est passé, celui de sa sœur commence.

MAUREPAS, bas, à la marquise de Mirepoix. Pas encore, je l’espère.