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« À madame la marquise de la Tournelle. (Elle l’ouvre.) C’est l’écriture du roi. (Elle lit.) « Par grâce, n’épousez pas le duc d’Agénois ; ce mariage ne vous rendrait pas heureuse, et il me causerait un chagrin mortel. — Louis. » (Elle retombe accablée sur le banc où elle était assise.) Moi l’affliger !… Moi qui donnerais ma vie pour le rendre à lui-même, aux vertus, à la gloire… Moi lui causer un chagrin mortel… (Cachant le billet dans son sein.) Non, je lui obéirai, je ne serai point à un autre. Hélas ! c’est bien assez de m’exiler à jamais de sa présence.





Scène VI.

LA MARQUISE, Mlle ADÉLAÏDE DE NESLE, LA MARQUISE DE MIREPOIX.


LA MARQUISE DE MIREPOIX. Y pensez-vous, ma chère marquise ! les salons sont déjà remplis de monde ; le son du cor nous annonce la prochaine arrivée du roi, et vous restez là paisiblement à lire, comme si nous n’avions pas besoin de vous pour nous aider à faire les honneurs du château !

ADÉLAÏDE. Il est à peine temps de vous habiller, ma sœur, car le duc de Richelieu vient de nous prévenir que le roi serait ici dans un quart d’heure.

LA MARQUISE. M’habiller ! et pourquoi ?

ADÉLAÏDE. Le roi vaut bien la peine qu’on se pare pour lui.

LA MARQUISE. Sans doute ; mais en venant chez un ami, à la campagne, je ne m’attendais pas à de si pompeuses visites, et je vois qu’en effet je ferai mieux de ne point paraître à la fête.

LA MARQUISE DE MIREPOIX. Quelle folie !… le roi ne vous le pardonnerait point. D’ailleurs, il n’a pas le droit de ne pas nous trouver assez parées, puisqu’il vient nous surprendre.

ADÉLAÏDE. Nous n’avons pas besoin de parure pour lui sembler jolies.

LA MARQUISE DE MIREPOIX. Prenez garde, ma chère Adélaïde… on pourrait croire, à vous entendre… mais c’est à vous, madame, à vous, qui êtes sa sœur aînée, à éclairer son inexpérience !… c’est bien assez, je crois, de deux exemples malheureux dans votre famille, sans qu’un troisième…

LA MARQUISE, fort émue. Ah ! madame, pourquoi révéler ces torts devant Adélaïde ?

LA MARQUISE DE MIREPOIX. Pour t’en préserver, ma chère. Le roi est jeune, galant, empressé près des jolies femmes ; c’est très-bien de sa part, et Dieu me garde d’en médire ; mais celles qui l’écoutent doivent être averties du danger.

ADÉLAÏDE, à la marquise de la Tournelle. Est-il vrai, ma sœur, qu’une femme ne peut écouter le roi sans se perdre de réputation ?

LA MARQUISE. Ah ! cela n’est pas sans exception.

LA MARQUISE DE MIREPOIX. Je n’en connais guère, ma chère marquise, et je vous défie de me citer une seule femme que l’amour du roi n’ait pas perdue… Je sais bien qu’elles se flattent toutes de le faire soupirer impunément ; mais c’est une illusion dont elles ne sont pas même dupes.

ADÉLAÏDE. Heureusement le roi ne pense point à moi ; sans cela, vous me feriez bien peur. (On entend une fanfare.) Ah ! mon Dieu ! entendez-vous ? le voici qui arrive.

LA MARQUISE, émue, à part. Le roi !

LA MARQUISE DE MIREPOIX, rajustant son mantelet. Et nous ne sommes pas dans le salon pour le recevoir.

ADÉLAÏDE. Et je n’ai pas eu le temps de mettre mon beau collier !

LA MARQUISE, à part, s’asseyant. Je respire à peine.

ADÉLAÏDE. Mais venez donc, ma sœur ; le roi va nous trouver fort malhonnêtes.





Scène VII.


LES MÊMES, LE DUC DE RICHELIEU.


LE DUC DE RICHELIEU. Et que faites-vous donc ici, mesdames ? on vous cherche, on vous appelle. (À la marquise de la Tournelle.) Quand le roi daigne vous faire visite, ne pas aller au-devant de sa majesté…

LA MARQUISE DE MIREPOIX. Vous m’en voyez au désespoir ; mais courons vite nous excuser près du roi.

LE DUC DE RICHELIEU. Le voici qui se dirige de ce côté. Il veut voir les jardins avant qu’ils soient illuminés. (Bas, à la Marquise.) Et savoir surtout si vous êtes.





Scène VIII.


LES MÊMES, LE ROI, M. DUVERNEY, LE

COMTE DE MAUREPAS, PLUSIEURS SEIGNEURS

DE LA COUR, ÉCUYERS, PAGES.

À l’arrivé du Roi, Mme de la Tournelle se retire derrière Mme de Mirepoix et sa sœur.

LE ROI, cherchant des yeux la Marquise, et paraissant inquiet. En vérité, mon cher Duverney, je ne m’étonne plus que l’on quitte Versailles pour venir habiter ce lieu charmant ; mais l’air en est-il aussi bon ?