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de Mme la duchesse, vous pouvez le visiter entièrement ; je vais confier toutes les clefs à Germain, il les mettra à votre disposition ; mais vous me permettez d’aller voir passer le cortége, n’est-ce pas ?

L’EXEMPT. Ah ! je n’ai point d’ordre contre vous, et vous serez libre d’accompagner ou non votre maîtresse.

Mlle HÉBERT. Où cela, monsieur ?

L’EXEMPT. À la Bastille.

Mlle HÉBERT. À la Bastille !

L’EXEMPT. C’est pour cela qu’il faudrait mieux nous dire la vérité que de nous en laisser venir à des mesures extrêmes. (D’un air de confidence.) La duchesse est ici, n’est-ce pas ?

Mlle HÉBERT. Ce n’est pas à moi à la dénoncer ; faites votre devoir. Allons, Toinette, viens avec moi.

L’EXEMPT, la retenant. Vingt louis pour vous si vous nous dites où est la duchesse.

Mlle HÉBERT. Vingt louis ! cela demande réflexion… vingt louis ?…

L’EXEMPT. Tout autant !

Mlle HÉBERT. Eh bien ! laissez-moi d’abord renvoyer cette petite fille.

L’EXEMPT, à part. Elle est à nous…

Mlle HÉBERT. Je ne veux pas devant elle… vous comprenez ?

L’EXEMPT. C’est bien.

Mlle HÉBERT. Toinette ?

LA DUCHESSE. Ma… madame.

Mlle HÉBERT. Eh bien ! de quoi as-tu peur ? ces messieurs sont d’honnêtes gens à qui j’ai à parler ! Toi, si tu veux voir le cortége, va toute seule, j’ai affaire ici.

L’EXEMPT, regardant la Duchesse. Ne tremblez pas comme ça, la belle enfant, nous n’en voulons point aux cornettes et aux bavolets.

Mlle HÉBERT. Eh bien ! t’en vas-tu ? (Elle la pousse dehors.) Prends bien garde de ne pas te perdre dans la foule… (À part.) Je respire. (Haut.) Maintenant que voulez-vous ?

L’EXEMPT. Que vous nous disiez où est la duchesse.

Mlle HÉBERT. Laquelle, monsieur ? est-ce madame la duchesse de Lauraguais ? Elle est allée, je crois, chez la princesse de Conti ; mais elle ne peut tarder à revenir, parce que…

L’EXEMPT, avec impatience. Et non, ce n’est pas à la duchesse de Lauraguais que nous avons à parler, c’est à la duchesse de Châteauroux. Allons, un peu de complaisance, on vous la payera bien.

Mlle HÉBERT. Vous ne me trahirez point ? c’est que si l’on pouvait se douter…

L’EXEMPT. Soyez tranquille, vous ne serez pas compromise.

Mlle HÉBERT. Vous me le promettez ?

L’EXEMPT. Sur tout ce que la police a de plus sacré.

Mlle HÉBERT, à part. Que lui dire pour gagner du temps ? (Haut.) Eh bien, puisque vous l’exigez… vous saurez qu’il y a là-bas dans le vestibule une petite porte qui donne sur un escalier dérobé…

L’EXEMPT. Je l’ai remarquée en entrant.

Mlle HÉBERT. Cet escalier conduit à la lingerie.

L’EXEMPT. C’est là qu’est la duchesse ?

Mlle HÉBERT. Je ne dis pas cela, monsieur.

L’EXEMPT. Allons, point de crainte, parlez vite.

Mlle HÉBERT, regardant la pendule, à part. Elle doit être en sureté maintenant.

L’EXEMPT. Dites-nous franchement.

Mlle HÉBERT. Où est ma maîtresse ? Eh bien, foi d’honnête femme, à l’heure qu’il est, je n’en sais rien.

L’EXEMPT. Comment ! tu n’en sais rien… Et tu disais tout à l’heure… Ah ! te moquais-tu de moi ? Soldats, gardez cette femme, et nous…





Scène VIII.

LES MÊMES, RICHELIEU, LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS.


RICHELIEU. Que vois-je ! des exempts chez vous, madame la duchesse ?

Mme DE LAURAGUAIS. Mademoiselle Hébert entre deux soldats ! qu’est-ce que cela signifie ?

Mlle HÉBERT. Cela signifie, madame la duchesse, que ces messieurs sont venus ici pour arrêter ma maîtresse.

RICHELIEU. Arrêter madame de Châteauroux ! Quelle indignité !

Mme DE LAURAGUAIS. Et au nom de qui arrêtez-vous ma sœur ?

L’EXEMPT. Au nom du roi, madame.

RICHELIEU. Du roi ? c’est impossible !

L’EXEMPT. Voici l’ordre.

RICHELIEU. « Signé Maurepas. » Cette arrestation est un abus de l’autorité… Maurepas trompe le roi, et je vais à l’instant même… Messieurs, éloignez-vous ; je suis le duc de Richelieu, je prends tout sur moi. Mais quel bruit se fait entendre sur l’escalier ?…

L’Exempt et les Soldats se retirent.

DUVERVEY, dans la coulisse. Par ici, mes amis, par ici !

Mme DE LAURAGUAIS. C’est la voix de Duverney.