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Scène VI.

LA DUCHESSE, Mlle HÉBERT.


Mlle HÉBERT, portant une jupe, un bonnet et un capuchon de paysanne. Tout est prêt, madame ; voici le bonnet, la robe, le capuchon de Toinette ; j’ai sur moi la clef de la porte du jardin qui donne sur la petite rue. Personne ne nous verra sortir, car tous les gens de la maison sont à regarder les illuminations. La foule, que le canon vient d’attirer dans le faubourg Saint-Antoine, nous permettra de gagner la place du Palais-Royal ; c’est là seulement que j’ai pu trouver des fenêtres à louer… Mais vous ne m’écoutez pas, madame ; vous êtes plus souffrante, j’en suis sûre ? Ah ! renoncez à ce projet ; si vous alliez vous trouver mal au milieu de cette foule…

LA DUCHESSE, sortant de sa rêverie. Non, je me sens mieux, soyez tranquille ; mais pressons-nous… pressons-nous. (Elle détache les nœuds de sa coiffure et de sa mantille.) Car on m’a prévenue, qu’on peut venir m’arrêter d’un instant à l’autre !…

Mlle HÉBERT. Comment ! le roi pourrait…

LA DUCHESSE. Que voulez-vous ! entouré de mes ennemis, aveuglé par leur haine, irrité par de nouvelles calomnies ; ils lui disent… ils lui disent que je conspire.

Mlle HÉBERT. Mais si madame avait tenté de désabuser le roi par quelques mots ?

LA DUCHESSE. Moi, m’abaisser à me justifier envers lui ! jamais… Ah ! que je le revoie encore, que mon regard lui dise un dernier adieu… et je mourrai satisfaite.

Mlle HÉBERT, va vers la porte, met le verrou, puis elle revient dégrafer la jupe de soie de la Duchesse, et agrafer la jupe d’indienne. Ah ! je crains que madame ne soit point encore assez déguisée sous ces habits. (Elle lui met son bonnet.) Ce bonnet lui va trop bien !…

LA DUCHESSE, prenant le capuchon. Ce capuchon me cachera entièrement ; donnez vite ; il me semble entendre le roulement du tambour.

Mlle HÉBERT, attachant le tablier de la Duchesse. Oh ! le cortége ne saurait être encore près d’ici ; notre concierge, qui est revenu à la hâte du faubourg Saint-Antoine, dit que le carrosse du roi s’arrête à chaque instant pour répondre aux acclamations du peuple et lui jeter de l’argent, ce qui ralentit beaucoup sa marche.

LA DUCHESSE, vivement. Cet homme a vu le roi ?

Mlle HÉBERT. Oui, madame, plus beau que jamais, souriant au peuple, qui le bénit avec un sourire qui lui gagne tous les cœurs. Mais voyez dans quel état vous êtes, et s’il est possible de vous exposer ainsi tremblante…

LA DUCHESSE. Non, c’est ma destinée qui m’entraîne, il faut que je le voie aujourd’hui ! Ah ! si les roues de son char de triomphe pouvaient m’écraser !

Mlle HÉBERT. Si madame conçoit de semblables idées, je ne saurais la suivre. Non, elle ne sortira point, j’irai plutôt avertir Mme de Lauraguais, M. Duverney, toute la maison.

LA DUCHESSE. Ah ! gardez-vous-en bien, ma chère, ma bonne mademoiselle Hébert ; je vous promets de ne faire aucune folie, de me laisser guider par vous ! Hélas ! l’excès de ma douleur me rend parfois insensée, mais un mot d’amitié me ramène à la raison. Soyez tranquille, j’oublierai tout pour ne penser qu’au bonheur du roi, mais ne m’empêchez pas de le revoir… Oh ! non. Si pourtant j’étais reconnue par quelque espion des ministres, et livrée par lui à la fureur de la populace, n’allez pas prendre parti pour moi contre la foule ; ce serait vous exposer inutilement ; fuyez alors, et ne me plaignez pas. J’ai si souvent demandé au ciel que ce beau jour fût le dernier de ma vie !… Partons…

Elles vont pour sortir.





Scène VII.

LA DUCHESSE, Mlle HÉBERT, un Exempt de la prévôté ; plusieurs Soldats du guet.


L’EXEMPT, en dehors de la porte. Ouvrez…

LA DUCHESSE. Les voilà.

L’EXEMPT. Ouvrez de par le roi !…

Mlle HÉBERT, baissant le capuchon de la Duchesse. Restez là, ne dites mot, et laissez-moi faire… On va ouvrir, messieurs.

Elle ouvre la porte.

L’EXEMPT. Nous avons à parler à Mme la duchesse de Châteauroux.

Mlle HÉBERT. Elle est sortie, monsieur.

L’EXEMPT. Le concierge nous a pourtant assurés qu’elle était chez elle.

Mlle HÉBERT. Il ne se sera point aperçu que madame était dans le carrosse de la duchesse de Lauraguais, lorsque celle-ci est sortie.

L’EXEMPT, d’un air méfiant. Où allaient-elles ?

Mlle HÉBERT. Au château de Plaisance, et je profitais de ma journée que m’a laissée madame, pour aller voir les illuminations avec la fille de notre concierge, avec Toinette, que voilà.

L’EXEMPT. Cela est possible, mademoiselle ; mais porteur d’un ordre dont je suis responsable, vous me permettrez de vérifier…

Mlle HÉBERT. Ah ! monsieur, tout à votre aise. (Ouvrant la porte.) Voici l’appartement