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Mme DE LAURAGUAIS. Moi, je vais demander conseil à la princesse de Conti ; elle sait ce qui se trame contre nous. (À sa sœur.) Vous en croirez son avis, n’est-ce pas ?

DUVERNEY. Je vais de mon côté interroger M. de Maurepas ; il ne me dira pas la vérité, mais je la devinerai, et si j’entrevois le moindre danger pour vous, je reviens vous contraindre à me suivre.

LA DUCHESSE. Tant de bonté, de zèle, devrait me consoler.

DUVERNEY, baisant la main de la Duchesse. Du courage !





Scène III.


LA DUCHESSE, seule. Il revient… Tout un peuple ivre de joie se précipite au-devant de lui, pour le voir, pour l’adorer, pour le bénir, et c’est à moi… oh ! je suis heureuse et fière de me le dire, c’est à moi, c’est à mes conseils qu’il doit les cris d’amour et les bénédictions du peuple. Grâce à moi, ce n’est plus ce roi indolent, étranger à la nation, inconnu à l’armée. C’est Louis XV victorieux, c’est Louis le bien-aimé qui vient de recevoir le prix de sa valeur, la récompense de ses bienfaits, et ce triomphe qu’il me doit, je ne le verrai point ! Ah ! dussé-je en mourir, mon dernier regard s’enivrera de ce grand spectacle. Et lui ! lui !… je le verrai une fois encore ; je reverrai ces traits si nobles, ces yeux divins dont le feu me brûle toujours ; oui, oui, le revoir encore ! mon Dieu ! le revoir encore, car je l’aime. Mais à qui confier ce projet ? personne ne voudra… Si mademoiselle Hébert… oui, elle seule, elle si bonne, si dévouée… (Elle ouvre la porte de sa chambre.) Mademoiselle Hébert, êtes-vous là ?





Scène IV.

LA DUCHESSE DE CHÂTEAUROUX, MADEMOISELLE HÉBERT.


Mlle HÉBERT. Que désire madame la duchesse ?

LA DUCHESSE. J’ai à vous demander un service bien important ; il exige tout le zèle et la discrétion dont vous êtes capable.

Mlle HÉBERT. Madame ne peut douter de moi… si je la voyais seulement un peu moins malheureuse !

LA DUCHESSE. Eh bien ! chère mademoiselle Hébert, il dépend de vous de me procurer la seule consolation que je puisse goûter.

Mlle HÉBERT. Ah ! parlez, madame.

LA DUCHESSE. Le roi fait son entrée à Paris à la nuit tombante ; son cortége suivra toute la rue Saint-Honoré, pour se rendre au Carrousel ; je veux… je veux voir le roi.

Mlle HÉBERT. Quoi ! madame ?…

LA DUCHESSE. Je le veux ; il faut aller me louer, à tout prix, une chambre, une fenêtre d’où je puisse le voir passer.

Mlle HÉBERT. Vous ! madame ? Et ne craignez-vous point d’être reconnue, insultée ?…

LA DUCHESSE. Non ! vous emprunterez les habits de toilette… la fille du concierge… vous lui laisserez croire que c’est vous qui voulez vous déguiser.

Mlle HÉBERT. Mais madame oublie que nul carrosse, excepté ceux du roi, ne pourra circuler ce soir dans Paris.

LA DUCHESSE. Aussi est-ce pour me mêler sans inconvénient à la foule que je veux m’habiller en ouvrière ; vous prendrez aussi un mantelet, un grand capuchon noir.

Mlle HÉBERT. Et si madame la duchesse de Lauraguais nous voit ?…

LA DUCHESSE. Elle est allée au Temple, chez la princesse de Conti, et comme le peuple remplit déjà toutes les rues, on ne laissera point passer son carrosse ; mais courez vite, ma chère Hébert ; nous n’avons point un moment à perdre. C’est une grande preuve de dévouement que je vous demande là ; je sens tout le danger de cette démarche ; mais je ne saurais résister au désir de le revoir encore une fois… Vous consentez, n’est-ce pas ?…

Mlle HÉBERT. Si madame l’ordonne…

LA DUCHESSE. Je ne vous l’ordonne pas, je vous supplie ; obéissez-moi par pitié !…

Mlle HÉBERT. Vous le voulez… mais que le ciel nous protége.

Elle sort.





Scène V.

LA DUCHESSE, puis LE DUC D’AGÉNOIS.


LA DUCHESSE. Évitons surtout la présence de Duverney ; il s’opposerait à cette démarche comme à une extravagance. (Elle sonne, un Valet paraît.) Je n’y suis pour personne.

Le Valet sort.

LE DUC D’AGÉNOIS. Pardon, madame, si je force votre porte ; mais le motif qui m’amène doit me servir d’excuse : j’apprends à l’instant par un avis secret que ce matin, à la suite d’un accès de colère dont on ignore le motif, le roi a fait appeler M. de Maurepas et M. d’Argenson, et qu’en sortant de ce