Page:Gay - La Duchesse de Chateauroux - Drame.pdf/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LA DUCHESSE. Vous ne le direz pas, sire, ce mot qui ne le frapperait pas seul.

LE ROI. Quoi ! vous le protégeriez quand il vous insulte ?

LA DUCHESSE. Ses regrets m’affligent sans m’offenser ; il ignore qu’en le sacrifiant, je n’ai pas perdu tous mes droits à son estime. Il ignore combien je suis heureuse et fière d’avoir rendu votre âme à toutes les inspirations de la gloire, et que ma faiblesse disparaît sous les lauriers qui vous parent ; il ignore que mon honneur, ma vie, c’est vous ; qu’il ne reste plus rien de moi que mon amour, et que loin d’en rougir, je vois avec orgueil cette adoration récompensée par vos exploits, et déjà imitée par la France entière.

LE ROI. Ah ! pardon, Marianne, pardon pour des transports jaloux dont je reconnais l’injustice ; pitié pour un insensé que l’excès de sa passion rend indigne de son bonheur, et qui devient ingrat quand il voudrait vous donner, pour prix de tant d’amour, sa vie et sa couronne.

LA DUCHESSE. Dieu me garde de douter de si douces paroles… Allons, plus de soupçons…

LE ROI. Oh ! je le jure !… Mais… vous laisserez partir le duc d’Agénois… n’est-ce pas ?…

LA DUCHESSE. Voilà une belle conversion !…





Scène VII.

LE ROI, LA DUCHESSE DE CHÂTEAUROUX,

LE DUC DE RICHELIEU, LE COMTE DE MAUREPAS, LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS, SEIGNEURS DE LA

COUR, SUITE DU ROI.


RICHELIEU. Monseigneur l’archevêque est aux ordres de sa majesté.

MAUREPAS. Déjà le peuple remplit la place et le parvis de la cathédrale ; il fait retentir l’air des cris de : Vive le roi, vive le vainqueur de Courtray, de Menin ! Ah ! je puis l’affirmer, cet enthousiasme-là n’est pas de commande.

LA DUCHESSE, au Roi. Quel beau jour !

LE ROI. C’est à vous que je le dois. (Au comte de Maurepas.) Les princesses sont-elles averties ?

MAUREPAS. Toute la cour, réunie dans la galerie, est prête à suivre votre majesté ; moi seul lui demanderai la permission de ne pas l’accompagner ; les dépêches importantes qu’elle m’a confiées m’obligent à travailler pendant que tout un peuple va rendre grâce à Dieu de votre gloire, sire.

Mme DE LAURAGUAIS, bas, à sa sœur. Dieu sait ce qu’il fera pendant ce temps.

LA DUCHESSE, souriant. Une chanson contre moi, sans doute.

LE ROI, à Maurepas. Je ne puis que louer cet excès de zèle.

RICHELIEU. La ville de Metz espère que votre majesté daignera, au sortir du conseil, honorer le bal de sa présence.

LE ROI. Certainement ! une fête donnée par cette bonne ville où m’attendait tant de joie. Après le ciel, les affaires de l’état ; puis le reste du jour sera tout… (regardant la Duchesse) au plaisir.

Le Roi sort en donnant la main à la duchesse de Châteauroux, tous le suivent.





Scène VIII.


MAUREPAS, seul, parodiant le Roi. « Et le reste du jour sera tout à Zaïre. » C’est fort clair, et le nouvel Orosmane ne se donne point la peine de contraindre son amour. Tant mieux, il en durera moins ; cependant, il en faut convenir… je n’en ai point encore vu de si tenace ; résister aux moqueries de nos chansons, aux insinuations si adroitement jetées sur la fidélité de la duchesse, aux humiliations dont l’abreuve toute la cour de la reine. Pour braver tout cela, il faut qu’il y ait dans cette passion quelque chose de divin ou de diabolique… Heureusement la présence du duc d’Agénois jette du trouble ici… le roi est jaloux… la duchesse est fière… il y aura des scènes violentes !… Ah ! si le crédit me revenait !…





Scène IX.

MAUREPAS, LE DUC D’AGÉNOIS.


D’AGÉNOIS. Vous m’avez fait appeler, monseigneur ? Je suis prêt à me charger de vos dépêches ; mes chevaux sont attelés.

MAUREPAS. Je conçois votre empressement à quitter la cour, mon cher duc ; je vous avais bien dit qu’il n’y avait plus moyen d’y tenir. On se résigne sans peine à obéir aux caprices d’un roi… mais subir ceux d’une courtisane… c’est trop !

D’AGÉNOIS. Ah ! monsieur le comte !… la marquise de la Tournelle une courtisane !…

MAUREPAS. Eh bien, nous dirons la favorite, si vous le trouvez plus convenable ; la différence n’est pas grande ; mais quel que soit le nom qu’on lui donne, il n’en est pas moins vrai qu’elle règne ici despotiquement, et qu’il est temps de réduire son empire à l’intendance des plaisirs de la couronne.

D’AGÉNOIS. Le caractère de madame de la Tournelle ne rendra pas cela facile.

MAUREPAS. Prenez-y garde, vraiment ; de-