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torise leur insolence par l’impunité ?

LA MARQUISE. Je veux que vous soyez clément, généreux, comme vous l’avez été si souvent.

LE ROI. Alors on n’outrageait que moi.

LA MARQUISE. Oubliez leurs injures ; ne pensez qu’à ma reconnaissance.

LE ROI. J’y consens. Mais quelle récompense m’accorderez-vous pour tant de soumissions ?

LA MARQUISE. Je vous demanderai une grâce.

LE ROI. Ah ! parlez.

LE DUC DE RICHELIEU. Ah ! ah ! voilà donc cette fierté soumise.

LA MARQUISE. Oui, je demande humblement au roi sa protection pour ma sœur Adélaïde, à qui la duchesse de Lesdiguières veut donner un mari de cinquante ans.

RICHELIEU. Et mademoiselle de Nesle le refuse ?

LA MARQUISE. Sans doute.

RICHELIEU. L’insensée ! elle ne sait donc pas qu’un vieux mari est un trésor pour une jolie femme ; qu’il sert d’excuse aux fautes, de prétexte aux ruptures. Il faudrait éclairer votre sœur là-dessus.

LA MARQUISE. Ce soin sera inutile, j’espère.

LE ROI. Oui ; je me charge de lui trouver un mari digne de remords.

LA MARQUISE. (On entend fermer une porte.) Ciel ! qu’entends-je ?

RICHELIEU. Serions-nous surpris par l’ennemi ?

Mlle HÉBERT, à la Marquise. On parle dans le corridor.

RICHELIEU. C’est, je parie, cet animal de Chamasel, qui se croit obligé, en qualité de premier maître d’hôtel de votre majesté, d’exercer une police particulière sur tous ses voisins.

LA MARQUISE. Ah ! mon Dieu ! l’on va vous voir sortir d’ici.

LE ROI. Rassurez-vous. Équipés comme nous le sommes… avec sa redingote et mon manteau, nous ne pouvons compromettre tout au plus que mademoiselle Hébert.

RICHELIEU remettant sa redingote. C’est peut-être quelque affidé de Maurepas qui nous aura suivis ; il est si curieux !… Je vais, avec mademoiselle Hébert, m’assurer que personne ne nous épie.




LE ROI, LA MARQUISE.


LA MARQUISE, au Roi. Ces soins, cette inquiétude, prouvent que j’ai tort de vous recevoir.

LE ROI. Ces craintes, ces émotions, vous rendent encore plus belle !

LA MARQUISE, écoutant avec inquiétude. Si vous étiez reconnu ?… si quelque assassin !… Ah ! je frémis… Et j’ai pu consentir à ce qu’il s’exposât ainsi… Mais j’entends plusieurs voix… des menaces…

LE ROI, tirant son épée. On attaque Richelieu !… Courons…





Scène XIV.

LES MÊMES, Mlle HÉBERT, tremblante.


Mlle HÉBERT. Restez, sire… au nom du ciel, ne vous montrez pas… c’est monsieur de Richelieu qui vous en conjure.

LE ROI. Mais on l’insulte ?…

Mlle HÉBERT. Ne craignez rien pour lui, sire… mais au bas de l’escalier, dans l’enfoncement d’une porte, le duc a froissé le manteau d’un homme qui se cachait. Aussitôt, tirant son épée, le duc s’apprête à le frapper ; alors une voix bien connue lui demande grâce ; et à la lueur de la lanterne sourde que portait cet homme, nous reconnaissons…

LA MARQUISE, vivement. Qui ?…

Mlle HÉBERT. Le comte de Maurepas.

LE ROI, à part. Je ne puis sortir !

LA MARQUISE, tombant accablée sur un siége. Malheureuse ! je suis perdue !…




ACTE TROISIÈME.

Le théâtre représente un des riches salons du Roi à Metz. On aperçoit dans le fond la salle des gardes.



Scène PREMIÈRE.

LE DUC D’AGÉNOIS entre par la porte

du milieu ; il a le bras en écharpe. LE

COMTE DE MAUREPAS.


MAUREPAS, sortant du cabinet du Roi. Que vois-je ? monsieur le duc d’Agénois ici ?

D’AGÉNOIS. Oui, monseigneur. (Montrant son bras.) Cette blessure reçue à la dernière affaire, me vaut l’honneur de vous apporter une lettre du maréchal de Noailles.

Il lui remet une lettre.