Page:Gay - La Duchesse de Chateauroux - Drame.pdf/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

N’importe. Bien que je ne sois pas fort à mon avantage, je n’en rends pas moins grâce au roi de m’avoir permis de l’accompagner ici.

LE ROI. Ah ! pour cela, je te dispense de toute reconnaissance. Tu me rendras la justice de croire que tu ne serais pas ici si cela avait dépendu de moi ; mais madame, qui désirait te voir et me contrarier, a exigé que tu vinsses avec moi. Ainsi, c’est à elle que tu dois tous les remercîments.

LA MARQUISE. Comme il s’agissait d’affaires sérieuses, j’ai pensé que les conseils de mon oncle nous seraient fort utiles.

LE ROI Quel bonheur d’être ainsi en petit comité à l’abri de tous les importuns !

RICHELIEU. Qui croient votre majesté souffrante et s’évertuent pour trouver les phrases les plus touchantes sur l’intérêt profond que votre état leur inspire. S’ils pouvaient se douter de cette petite réunion…

LE ROI. Ils me croiraient le plus heureux des hommes. Eh bien ! je suis son esclave, voilà tout.

LA MARQUISE. Ah ! sire, dites son ami.

LE ROI. Non. Je vous abuserais. L’amitié n’est pour rien dans une adoration semblable ; l’amour seul peut être aussi sottement résigné, et je suis sûr qu’au fond de son âme, Richelieu se moque de moi. Il ne comprend pas qu’on puisse donner toutes les apparences de l’intrigue aux rapports les plus innocents.

RICHELIEU. Il est vrai, chère nièce, que c’est trop ou trop peu.

LA MARQUISE Oui, c’est trop, j’en conviens, et je vous remercie de la leçon.

LE ROI. Maudites soient tes belles sentences. Elle ne voudra plus me recevoir, et pourtant le ciel sait que, pour m’enivrer de sa présence, je puis faire tous les sacrifices. Mais tu ne crois à rien, toi.

RICHELIEU. Je vous demande pardon, sire, j’ai eu mainte occasion de croire à la vertu ; et je crois même à la volupté du martyre.

LE ROI. Eh bien ! c’est justement la mienne, et quand je me plains, elle me menace de s’enfuir là où je ne pourrais la suivre. Tant de cruauté devrait me décourager. Eh bien ! non ; j’aime ses injures, ses sermons, ses caprices, et quand je vois à la cour des gens qui la supposent moins rebelle envers moi, il me semble qu’ils l’insultent. J’ai envie de me battre avec eux.

LA MARQUISE. Que le roi est aimable et qu’il serait douloureux de perdre une semblable affection ! Pourtant elle est si calomniée qu’il faudra bien en faire le sacrifice.

LE ROI, vivement. Jamais. Quoi ! parce qu’il plaît à un Maurepas, à un Flavacourt, de railler, de blâmer le sentiment le plus noble, il faudrait l’immoler à leur impertinente satire ! Non, ils ont osé vous insulter, ils connaîtront…

LA MARQUISE. Ah ! sire, gardez-vous de cet affreux sentiment.

LE ROI. Ils ne savent pas qu’en vous calomniant, ils m’insultent dans l’objet de mon respect, dans ce que j’ai de plus cher au monde, et que votre intérêt seul peut suspendre l’ordre prêt à les frapper.

LA MARQUISE. Par grâce, épargnez-les, sire. Peu m’importe leur haine aujourd’hui ; je n’ai rien fait pour me l’attirer, mais si demain je la méritais par l’effet de votre colère, elle me serait insupportable.

LE ROI. Il est trop tard. Monsieur de Flavacourt va recevoir l’ordre d’envoyer sa démission et de se rendre à sa terre. Je ne veux pas que vous soyez exposée à le rencontrer.

LA MARQUISE. C’est une injustice, sire ; monsieur de Flavacourt est un de vos meilleurs officiers, et son fanatisme pour l’honneur doit trouver grâce près de vous.

LE ROI. Insulter une femme ! la dénoncer au monde avant qu’elle soit seulement soupçonnée, est-ce là ce que vous appelez de l’honneur ?

LA MARQUISE. Monsieur de Flavacourt est-il donc si coupable de croire qu’on ne puisse vous aimer sans crime ? Non, sire ; du moment où vos regards sont tombés sur moi, où vos soins ont attiré les soupçons et fait naître l’envie, il a dû penser qu’entraînée par l’exemple, j’allais succéder à ma sœur, et inscrire un nom de plus sur la liste des succès dont rougit ma famille. Hélas ! n’a-t-il pas raison de craindre… si moi qui vous haïssais, moi qui maudissais votre amour, je l’écoute, qui pourra se flatter d’en triompher. Ah ! ne punissez pas la franchise de mon frère ; laissez éclater en lui les restes de ce vieil honneur qui règne encore dans l’âme de quelques gentilshommes. Faites plus, sire, respectez cette noble indignation comme le gage d’un courage héroïque ; mettez cet homme à la tête de vos troupes, et vous verrez qu’il fera autant pour votre gloire qu’il peut sacrifier à son honneur.

LE ROI. Tu l’entends, Richelieu ?

RICHELIEU. Oui, sire ; et je voudrais que toute la France l’entendît.

LE ROI, à la Marquise. Vous le voulez ? Je pardonne à Flavacourt ; mais monsieur de Maurepas…

LA MARQUISE. Doit rester ministre, sire ; ses talents vous sont utiles, et son esprit malin est à ménager.

LE ROI. Ainsi donc vous exigez que j’au-