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Le théâtre représente le petit salon de l’appartement que la marquise de la Tournelle occupe dans l’aile du château de Versailles.



Scène PREMIÈRE.


Mlle HÉBERT, seule, arrangeant des fleurs dans un vase de Sèvres. Cent pistoles pour savoir si madame la marquise reçoit à Versailles le roi en secret… Autant pour savoir si elle écrit souvent au duc d’Agénois… et cent bons louis pour prix d’une lettre de la marquise au jeune duc. En vérité, monsieur de Maurepas ne ménage pas l’argent ; quand il s’agit de satisfaire sa curiosité et de servir ses méchants projets… Moi, trahir ma chère maîtresse, livrer ses secrets au ministre qui s’acharne à la persécuter… Plutôt mourir vraiment.





Scène II.


ADÉLAÏDE, Mlle HÉBERT.


ADÉLAÏDE, entr’ouvrant la porte. Ma sœur est-elle déjà chez la reine ?

Mlle HÉBERT. Non, mademoiselle, elle n’ira pas ce soir.

ADÉLAÏDE. Je le crois bien, vraiment, après ce qui s’est passé hier. Pauvre sœur, l’accueillir ainsi !…

Mlle HÉBERT. Ah ! mon Dieu ! aurait-elle éprouvé quelque disgrâce ?

ADÉLAÏDE. La reine l’a traitée avec tant de froideur, que chacun s’est cru autorisé à être plus qu’impoli pour madame de la Tournelle. La princesse de Carignan ne lui a pas même rendu son salut. C’est du moins ce qu’a raconté ma tante en revenant du château, et ce qui a provoqué la défense qu’elle m’a faite de revoir ma sœur.

Mlle HÉBERT. Serait-il possible ?

ADÉLAÏDE. Oui, mademoiselle Hébert, je suis venue secrètement ici, en sortant de l’église où le carrosse de la duchesse de Lesdiguières m’attend ; mais il faut absolument que je parle à ma sœur, il y va du malheur de toute ma vie.

Mlle HÉBERT. Ah ! mon Dieu ! vous m’effrayez !

ADÉLAÏDE. Oui, je fuirai seule au bout du monde, plutôt que de me résigner à…





Scène III.


LES MÊMES, LA MARQUISE.


LA MARQUISE. Qu’entends-je ? vous, fuir au bout du monde ! Et pourquoi cela, ma ma chère Adélaïde ?

ADÉLAÏDE. Pour ne pas épouser monsieur de Chabot, le mari que ma tante veut me donner.

LA MARQUISE. C’est pourtant un mariage fort sortable, il me semble.

Mlle Hébert se retire discrètement.

ADÉLAÏDE. Ah ! vous parlez comme ma tante ; vous aussi, vous trouvez très-raisonnable d’épouser un homme qu’on déteste.

LA MARQUISE. Je ne dis pas cela, mais avec un grand nom et peu de fortune, on est souvent contrainte à sacrifier ses idées romanesques.

ADÉLAÏDE. Je n’ai point d’idées romanesques ; mais épouser monsieur de Chabot, un homme de cinquante ans, j’aime mieux prendre le voile, je vous jure.

LA MARQUISE. Cherchons avant s’il n’est pas d’autre moyen d’éviter ce mariage.

ADÉLAÏDE. J’en connais bien un.

LA MARQUISE. C’est de faire parler à ma tante, par la reine, n’est-ce pas ?

ADÉLAÏDE. Ce serait une vaine démarche, car la reine approuve ce mariage.

LA MARQUISE. Que faire alors ?

ADÉLAÏDE. Il faut prier le roi de me marier, n’importe avec qui, pourvu que ce ne soit pas avec monsieur de Chabot.

LA MARQUISE. Comment voulez-vous que je m’adresse au roi pour contrarier la volonté de la duchesse de Lesdiguières ?… Ce serait inconvenant et inutile…

ADÉLAÏDE. Oh ! pour inutile, je ne le crois pas ; car on dit que le roi traite à merveille vos amis, et que vous pouvez lui demander tout ce que vous voulez sans crainte d’un refus.

LA MARQUISE, avec fierté. On vous a trompée, Adélaïde ; personne ne peut savoir comment le roi accueillerait une requête de ma part ; je ne lui ai jamais rien demandé.

ADÉLAÏDE. Eh bien, faites cet effort en ma faveur, chère Marianne, ne m’abandon-