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— Il y a donc un pari ? dit Léonce, qui pointa les oreilles comme un cheval de bataille qui entend la trompette.

— Oui, dit Aymar de Rabut, je ne sais pas comment cela s’est fait, j’ai soutenu pendant une heure que tu t’ennuierais à crever à ton mariage, qu’hommes et femmes t’assommeraient, et au bout du compte il s’est trouvé que c’est moi qui ai parié que tu te laisserais empêtrer par les familles des futurs, et que tu resterais au dîner et au bal, et c’est Lingart qui a parié que tu reviendrais.

— Mais quand je te dis, s’écria Marinet, que si tu allais lui réclamer cent louis, et qu’il ne voulût pas les payer, il te prouverait clair comme deux et deux font quatre que tu lui dois dix mille francs !

— Ah bah ! dit Lingart, vous trouvez donc qu’il est très-clair que deux et deux font quatre ? »

On le regarda comme s’il disait une bêtise. Mais il ajouta avec une arrogance de sottise si prodigieuse, qu’il stupéfia l’assemblée :

« Eh bien ! faites-moi le plaisir de me prouver que deux et deux font quatre ?

— Ceci, mon cher, est de l’Odry tout pur.

— C’est si peu de l’Odry, que j’offre de parier vingt-cinq louis qu’aucun de vous ne me prouve que deux et deux font quatre.

— Pardieu ? dit Aymar de Rabut, cela n’a pas besoin d’être prouvé ; cela est, parce que… »

Il s’arrêta, et Lingart reprit d’un air triomphateur ;

« Eh bien ! pourquoi cela est-il ? »

Il attendit une réponse qui ne vint pas, et reprit doctoralement :

« Va commander notre dîner, et…

— Et que ce soit splendide, dit Sterny en riant ; car c’est Lingart qui paye.

— Comment ça ? fit le spéculateur.

— Parce qu’Aymar a gagné. Je retourne au dîner et je reste au bal.

— C’est pour me faire perdre, dit Lingart. »

À ce mot, la conscience de parieur de Sterny se troubla, et il réfléchit.

Et puis il dit :

« J’annule le pari.

— Pourquoi donc ?

— C’est que lorsque je suis entré ici, je n’étais pas bien sûr de ce que je ferais, et je ne sais pas encore ce que j’aurais fait, si vous ne m’aviez pas parlé du pari.