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— Eh bien ! le garçon d’honneur, c’est un droit…

— C’est un droit que je lui disputerai en champ clos, » dit le jeune lion, qui s’imaginait dire la chose du monde la plus insignifiante.

Lise le regarda de tous ses yeux, et répondit d’une voix émue :

« Si c’est comme ça, monsieur, venez, je lui dirai que c’est moi qui l’ai voulu. »

Cette phrase et l’émotion avec laquelle elle fut prononcée prouvèrent à Léonce que Lise avait pris le champ clos au sérieux, et qu’elle était persuadée que le marquis eût tué le garçon d’honneur s’il s’était permis de faire une observation. Cependant tout le monde était entré dans la salle municipale, Léonce et Lise entrèrent les derniers, et la jeune fille se hâta de dire :

« C’est M. Tirlot qui m’a laissée là sur le trottoir, et sans M. le marquis, à qui j’ai été forcée de demander son bras, je n’aurais pas eu de cavalier. »

Le mot cavalier désenchanta un peu Léonce ; mais le maire n’était pas arrivé, et, faute de mieux, il s’assit à côté de mademoiselle Lise. Il ne sut d’abord que lui dire, et évidemment il la gênait beaucoup par sa présence.

Léonce voulut faire le bonhomme, et dit en souriant doucement :

« Voilà un jour qui fait battre le cœur aux jeunes filles… »

Lise ne répondit pas.

« C’est un grand jour… »

Même silence.

« Et qui arrivera sans doute bientôt pour vous ?

— Ah ! que ce maire est ennuyeux ! » dit Lise, il se fait toujours attendre.

Léonce comprit qu’il réussissait peu ; mais, assis qu’il était près de cette belle enfant, il admirait avec tant de plaisir la pureté merveilleuse de son profil, la grâce de ce cou flexible si doucement courbé ; et puis il sentait pour la première fois arriver jusqu’à lui cette fraîcheur de vie bien plus suave que l’atmosphère parfumée d’une belle dame. Il ne se découragea pas, et saisissant au vol les mots de Lise, il reprit de sa voix la plus caressante :

« Vous parlez bien légèrement d’un si grave magistrat !

— Qui ça ? dit Lise, M. le maire, est-ce que c’est un magistrat ? »

On a beau faire des constitutions très-admirables, quand le temps ne les a pas sanctionnées, elles n’entrent pas dans les sentiments de la