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ai fait attendre ; mais j’avais commencé d’écrire une phrase, et j’ai voulu la finir avant de me déranger, parce que, sans cela, j’aurais perdu le fil… Et ce satané fil, quand une fois on l’a perdu, il faut se tordre la cervelle pour le retrouver… C’est comme le fil de Marianne, vous savez, la femme au labyrinthe, dans la mythologie… Pas par là, monsieur, vous allez à la cuisine… ; par ici, je vous prie, dans mon cabinet de travail. »

Le cabinet de la femme de lettres servait en même temps de salon, de salle à manger et de chambre à coucher. Le lit était à demi caché derrière un paravent déchiré. Le principal meuble de cet appartement complet était une vaste table chargée de toutes sortes d’objets ; on y voyait pêle-mêle des livres, du papier, un corset, une écritoire, une bouteille de vin, un peigne, des verres, des plumes, du linge, des assiettes.

« Donnez-vous la peine de vous asseoir, monsieur, » dit la romancière en se plongeant dans un vaste fauteuil placé devant son bureau.

M. Palémon ne demandait pas mieux que d’obtempérer à cette invitation, mais les trois chaises qui garnissaient le local étaient occupées toutes trois, l’une par un jupon, l’autre par un saladier, la troisième par un chat.

Mme Bougival remarqua l’embarras de la situation et elle s’écria :

« À bas ! Sylvio, faites place à monsieur. »

Sylvio, — c’était le chat, — se dressa sur ses pattes, prit son élan, sauta sur la table et se coucha dans le corset de sa maîtresse.

« Maintenant que vous voilà casé, monsieur, continua le bas-bleu, voulez-vous me dire ce qui me procure l’avantage de vous recevoir ?

— Madame, je viens ici à propos d’un roman.

— Monsieur est libraire ?

— Non, madame.

— Journaliste, peut-être ?

— Pas davantage. Voici le fait : j’ai lu votre roman.

— Lequel ?

— Celui qui est intitulé Noces et Festins.

— C’est un de mes meilleurs.

— Dans ce roman, il y a un personnage…

— Il y en a trente-deux, monsieur, et tous assez crânement posés, j’ose le dire ; des caractères un peu ficelés, et une action dans le grand genre, des événements en veux-tu, en voilà, et un dénoûment qui a dû