être par esprit de réaction contre l’air évaporé de sa mère. On ne s’occupait guère d’elle, on la faisait peu danser. Sa tante, la grosse tante dont Arthur prétendait hériter, et qui dansait avec une sorte de rage, venait de temps en temps lui servir de chaperon, lorsque la mère dansait, et, impatiente d’en faire autant, lui amenait quelques recrues auxquelles cette politesse était imposée. Je fus bientôt désigné pour remplir cette fonction ; je m’en acquittai avec une résignation plus volontaire que les autres. Cette fille n’était point laide, elle n’était que gauche et froide. Cependant elle s’enhardit et s’anima un peu avec moi. Elle en vint à me dire que le monde l’ennuyait, que le bal était son supplice. Je compris qu’elle y venait malgré elle pour accompagner sa mère, et que le rôle de mère, c’était elle qui le remplissait auprès de l’auteur de ses jours. Elle était condamnée à servir de prétexte. Le père d’Arthur, qui avait les goûts de l’âge que le temps lui avait fait, se soumettait à courir le monde, ou à rester seul au coin du feu, lorsque madame lui avait dit : « Quand on a une fille à marier, il faut bien la conduire au bal. » En attendant, la fille ne se mariait pas. Le père bâillait, et la mère dansait.
Je fis danser plusieurs fois cette pauvre demoiselle. Dans un bal de province, cela l’aurait compromise, et ses parents m’eussent fait la leçon. Mais à Paris, bien loin de là, on m’en sut le meilleur gré, et la demoiselle ne prit pas ce joli air de prude qui commence, dans une petite ville, tout roman sentimental entre jeunes gens. Cela me donna le droit de m’asseoir ensuite à ses côtés et de causer avec elle, tandis que ses deux matrones échangeaient de folâtres propos et de charmantes minauderies avec leurs adorateurs.
Notre causerie, à nous, ne fut point légère ; Mlle Emma avait du jugement, trop de jugement : cela lui donnait de la malice, bien que son caractère ne fut point gai. Ma simplicité lui inspirait de la confiance. Elle en vint donc à m’instruire de ce qui faisait le sujet de mon étonnement depuis le commencement du bal ; et sans que je hasardasse beaucoup de questions, elle fut pour moi un cicérone plus complaisant que son frère.
« Vous êtes émerveillé de voir ma grosse tante se trémousser si joyeusement, me disait-elle ; ce n’est rien : elle n’a que quarante-cinq ans, c’est une jeune personne. Son embonpoint la désole parce qu’il la vieillit. Ma mère est bien mieux conservée, n’est-ce pas ? Pourtant j’ai une sœur aînée qui a des enfants, et maman est grand’mère depuis quelques années. Je ne sais pas son âge au juste. Mais, en la supposant