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ment l’intention de gagner avec Crevette, je ne m’en suis pas caché, et comme elle est bonne, comme elle est avantagée par le poids, tout le monde a vu en elle le vainqueur ; si bien quelle est à 4/1 dans la cote, tandis que la Gredine est à 10/1. Mais voilà qu’aux essais la Gredine se montre meilleure, montée par un gamin, tandis que Crevette était montée par notre jockey ; elle l’a battue avant-hier de trois longueurs, hier de cinq, ce matin de dix très-facilement. Elle est sûre de gagner. Quand j’ai vu cela, j’ai commencé à faire prendre en cachette autant de la Gredine qu’on a voulu m’en donner ; au betting ils en sont toujours à Crevette. »

Cela était évidemment très-drôle, car tous trois se mirent à rire.

« Ma foi, je ne regrette pas ma suée, dit du Vallon..

— Vous comprenez, poursuivit le marquis, tous ils sont convaincus que nous gagnerons avec Crevette, tous ils parient pour Crevette ; eh bien, Crevette ne partira pas ; on la promènera demain bien ostensiblement dans l’enceinte du pesage ; les paris continueront d’autant mieux que la Gredine est restée à Chantilly d’où elle arrivera demain seulement ; à la dernière seconde j’annoncerai que Crevette ne part pas, et ils avaleront un bon bouillon. Il y a assez longtemps que j’arrose le betting. Je me venge et me rattrape. Donc jusqu’à demain secret absolu, et laissez toujours croire que vous vous faites maigrir.

— Seulement, maintenant, soignez vos bras, acheva Kinghorn, la Gredine tire en diable ; vous en aurez besoin.

— Ils payeront, et ils ne pourront pas se fâcher. »

Les rires recommencèrent, et quand du Vallon rentra, après avoir reconduit ses visiteurs, il riait encore.

J’avais compris en gros la machination de ce coup d’adresse, mais dans le détail il y avait bien des choses qui m’avaient échappé ; je voulus tâcher de me les faire expliquer.

« Tu ne te fais plus suer ? dis-je à mon ami.

— Non.

— Est-ce que tu es arrivé à ton poids ?

— Pas tout à fait encore, mais j’ai besoin de toutes mes forces, et si je continue la suée je n’aurai plus de bras demain. »

Décidément il ne me trouvait pas digne d’être initié au secret.

« Dis donc, fit-il tout à coup, est-ce que tu vas au betting ?

— Je ne sais pas seulement ce que c’est.

— C’est un salon où se font les paris sur les courses ; mais, puisque