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Ceux-ci entrèrent. L’un était un homme de grande taille, bien pris, solidement campé, la tête belle, avec un air de dignité et d’indépendance, — le marquis sans aucun doute ; l’autre était un gros garçon pesant au moins cent kilos, tout jeune encore, l’air bon enfant et bon vivant d’un riche fermier, avec cela une mauvaise houppelande grise pour costume, — assurément l’entraîneur.

Quelle fut ma surprise en voyant celui que je prenais pour l’entraîneur donner une poignée de main à du Vallon, tandis que celui que j’avais reconnu pour le marquis de Redhill le saluait poliment ! Je m’étais trompé.

« Est-ce que ce gentleman parle l’anglais ? » demanda le marquis dans sa langue maternelle.

Élevé par une bonne anglaise, le hasard voulait que je parlasse cette langue presque aussi bien que le français, mais du Vallon l’ignorait. En entendant la demande du marquis, je pensai qu’il avait quelque chose de particulier à dire à mon ami et que, si je paraissais le comprendre, il ne parlerait pas devant moi. Je pris un air indifférent ; j’étais là pour m’instruire.

« Lui ? répliqua du Vallon. C’est un bon provincial de mes amis ; il n’entend rien ni aux courses ni à l’anglais.

— Alors, continua le marquis en anglais, éteignez vos lampes, mon cher, et sortez de votre suaire.

— Comment cela ? je ne monte donc plus.

— Vous ne montez plus Crevette, vous montez la Gredine.

— Pourquoi diable m’avez-vous laissé me flanquer cette suée ? s’écria mon ami en jetant au loin son enveloppe en caoutchouc. La Gredine porte 60 kilos, je n’avais pas besoin de me faire maigrir. »

À cette exclamation le marquis répondit par un formidable éclat de rire, tandis qu’un air narquois apparaissait sur la figure de Kinghorn.

« Il fallait, dit celui-ci, que tout le monde sût bien que M. du Vallon se faisait maigrir.

— Tout le monde le sait, Maigret sort d’ici et il m’a vu sous ce manteau ridicule.

— C’est parfait.

— Voyons, mon cher marquis, je vous en prie, expliquez-vous. »

Je m’étais mis dans un coin, où je m’étais plongé dans un numéro du Sport, mais je ne perdais pas un mot de cette conversation.

« Dans le commencement, continua le marquis, nous avions réelle-