Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 4.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non assurément, car je tiens trop à compter au nombre de vos amis, mais à condition que votre comtesse se fasse habiller par Toole, — c’est un nouveau tailleur anglais que je protège, — qu’elle porte élégamment une de ses toilettes à sensation, et je lui établis une liste de performances à faire mourir d’envie toutes les Polonaises de la Pologne.

— Ça, je vous le promets.

— Alors c’est entendu. Maintenant adieu, il faut que je vous quitte ; je dois être à une heure chez la comtesse de Hauveau qui veut me montrer le costume Louis XV orné de dentelles blanches qu’elle portera demain à la grande chasse ; à deux heures il faut que je sois à l’ambassade de *** pour me faire une idée de la toilette habillée que la duchesse a inventée, une merveille ; à deux heures trois quarts chez Mme  Heard, une austère Américaine qui tient à faire croire qu’elle est reçue par toute l’aristocratie parisienne ; à trois heures chez la baronne Rehbach pour son déguisement ; et ce soir en rentrant il faudra mettre tout cela en prose à peu près propre et plaire à toutes. Ah ! mon cher, quel métier que le mien ! »

Lorsque le rédacteur du Turf fut parti, mon ami du Vallon se remit sous le suaire ; l’enveloppe en caoutchouc fut hermétiquement close au cou, on la drapa bien, de manière que l’air frais ne pût pas pénétrer, et les lampes furent allumées.

En moins de dix minutes la tête de mon ami devint rouge comme une écrevisse, son nez fort et busqué avait l’air d’une patte de homard.

Le déjeuner m’avait mis en gaieté.

« Veux-tu que je t’arrose ? dis-je en riant.

— Oui, donne-moi une tasse de thé. »

Le liquide chaud eut pour effet d’augmenter la poussée ; comme une barre de fer qui est au feu, il passait par tous les tons du rouge, seulement c’était en sens inverse : il avait commencé par le rouge blanc, il était arrivé au rouge cerise.

En le regardant je me rappelais avoir vu de pauvres diables d’ouvriers verriers qui, pour gagner leur misérable vie, enduraient le supplice de la cuisson, tandis que ce supplice du Vallon se l’imposait de gaieté de cœur pour la gloriole d’endosser une casaque rose ou grise devant vingt ou trente mille spectateurs qui se moqueraient de lui.

Ces réflexions plus ou moins philosophiques furent troublées par un bruit de voix qui s’éleva dans l’antichambre.

« C’est le marquis de Redhill et Kinghorn, son entraîneur, » dit Du Vallon.